A sa sortie en 1992, l’adaptation de Francis Ford Coppola a marqué le public par ses partis pris narratifs et esthétiques, différents des films vampiriques l’ayant précédé. A l’occasion de sa ressortie sur grand écran, retour sur la genèse et la conception du Dracula de Coppola.
Les adaptations du roman de Bram Stocker au cinéma n’ont pas manqué à travers les époques, la parution de l’illustre récit coïncidant avec les débuts du cinéma. Commençant par le sombre Nosferatu le vampire de F. W. Murnau, les figures de Dracula se sont déclinées sous divers aspects, portées par Max Schreck, Bela Lugosi ou encore Christopher Lee. En 1992, Francis Ford Coppola livre sa propre interprétation du roman, où il met l’emphase sur la dimension érotique de l’œuvre originale et offre plus de profondeur au personnage du comte, magistralement interprété par Gary Oldman.
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Aux origines du film
Le réalisateur britannique Michael Apted avait initialement été approché afin de porter le scénario de James V. Hart à l’écran, pour un téléfilm, avant de finalement décliner l’offre, comme le rapporte le Los Angeles Times. C’est ensuite Winona Ryder, qui incarne Mina Harker, qui a pu lire le script et l’a tout de suite apporté à Coppola. Elle expliquera en 1992 dans les colonnes de l’Orlando Sentinel : “Je n’ai jamais vraiment pensé qu’il le lirait. Il était tellement absorbé par le Parrain III. En partant, je lui ai dit : ‘Si tu as l’occasion, lis ce scénario.’ Il l’a regardé poliment, mais quand il a vu le mot Dracula, ses yeux se sont illuminés.”
Winona Ryder indiquera plus tard, dans le même journal ,que ce qui l’avait attirée est l’« histoire d’amour très émotionnelle, ce qui n’est pas vraiment ce à quoi on pense quand on pense à Dracula”, ajoutant : “Mina, comme beaucoup de femmes à la fin des années 1800, a une sexualité très réprimée. Tout ce qui concernait les femmes à cette époque, la façon dont ces corsets les forçaient à se déplacer, était révélateur de la répression. Exprimer la passion était effrayant.” Quant à Coppola, il fut également attiré par la forte dimension sensuelle présente dans le scénario, annonçant par ailleurs désirer que certaines parties du film ressemblent à un “rêve érotique”.
Une esthétique singulière, sortie de cauchemars
Pour l’esthétique de son film, le cinéaste fait réaliser un story-board d’environ mille images par un dessinateur et le filme afin de créer une version animée simplifiée du long-métrage, le tout en montrant à ses costumiers et décorateurs l’univers qu’il recherche. Coppola souhaite également tourner son film entièrement en studio, et demande aux décorateurs de lui apporter des dessins “bizarres”, leur intimant de lui donner quelque chose “qui vient soit d’une recherche, soit de [leurs] propres cauchemars”.
Michèle Burke, en charge des coiffures et maquillages, expliquera : “Francis ne voulait pas du Dracula typique qui avait déjà été fait à Hollywood. Il voulait quelque chose de différent, un nouveau Dracula sans la cape, sans la peau blanche pâle.” Pour la conception des costumes, estimant que les acteurs étaient les “bijoux” du film et qu’ils devaient être sublimés par leurs habits, le réalisateur fait appel à la talentueuse cheffe costumière Eiko Ishioka, d’abord engagée en tant que directrice artistique. Les habits portés par les personnages dans le film sont en effet impressionnants, tant dans leur conception que dans leur esthétique. Inspirés par les peintres symboliques (l’un des costumes de Dracula est directement tiré du tableau Le baiser de Klimt), les surréalistes, et l’époque victorienne, les somptueux costumes vaudront d’ailleurs à leur créatrice un Oscar.
Les premiers films de vampire comme références cinématographiques
Coppola instille ici et là de nombreuses références cinématographiques : on compte notamment plusieurs inspirations de Nosferatu, comme lorsque le personnage de Renfield succombe à la folie, ou encore ce plan où Dracula sort droit de son cercueil, à la manière du comte Orlock. La scène où Gary Oldman déclare à Keanu Reeves (qui interprète Jonathan Harker) “je ne bois jamais… de vin” est une réplique prononcée par Bela Lugosi dans le Dracula de Tod Browning. Enfin, le cinéaste fait également référence à La Belle et la Bête de Jean Cocteau, lorsque Dracula change les larmes de Mina en diamants. L’adaptation du cinéaste est donc moins sombre, moins subtilement angoissante que le film de Murnau, mais fait plutôt penser à l’âge d’or des films de la Hammer, notamment avec ses couleurs saturées et ses décors flamboyants et baroques.
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Des « effets spéciaux » traditionnels
Pour cette adaptation, Coppola ne souhaitait pas utiliser de technologie moderne concernant les effets spéciaux, mais seulement des effets techniques utilisés dès le début de l’histoire du cinéma, afin que cela soit plus approprié – la période du film coïncidant avec les débuts du cinéma. Engageant d’abord une équipe chargée des effets spéciaux numériques, il la renvoie lorsque les techniciens lui annoncent que ce qu’il veut obtenir est impossible sans la technologie moderne. Il demande alors à son fils Roman Coppola de se charger des effets spéciaux, qui utilisera des vieux trucages de cinéma, tous réalisés au moment du tournage (jamais en postproduction).
Une sortie en salles réussie
A sa sortie, le film reçoit globalement de bonnes critiques de la presse, malgré quelques voix discordantes qui critiquent la performance de Keanu Reeves, notamment pour son accent britannique jugé peu réaliste. Dracula enregistre un très bon score au box-office, devenant le quinzième film de l’année à faire le plus de recettes en Amérique du Nord et le neuvième dans le monde entier, avec près de 216 millions de dollars de recettes au total contre un budget de production de 40 millions. C’est également la seule adaptation de Dracula à remporter des Oscars : le film repart en effet avec les statuettes des meilleurs costumes, du meilleur maquillage et du meilleur montage de son lors de la 65e édition de la cérémonie.
Le Dracula de Coppola a marqué son époque et a eu un fort impact sur la culture populaire. Les costumes, notamment, ont conféré au comte une nouvelle image, alors qu’il était habituellement représenté tout de noir vêtu, avec une cape imposante rendue mythique par Bela Lugosi en 1931. L’œuvre a établi un style qui a redéfini le film de vampire, inspirant de nombreuses œuvres, des romans aux jeux vidéo en passant par l’animation japonaise.
Dracula, amant inconsolable plus que monstre sanguinaire
L’une des principales originalités du film de Francis F. Coppola est la manière dont ce dernier a étoffé son personnage principal. Ainsi, le comte n’est pas qu’un simple monstre, mais est représenté comme un amant damné et victime de sa propre folie, ce qui lui redonne une part d’humanité : il finit par regretter ses actes et supplier Mina de lui offrir le repos éternel. Possédant le pouvoir de se métamorphoser, Dracula chez Coppola est également capable de ressentir les sentiments et émotions humaines et devient donc ambivalent, presque attachant, quelque part ; le spectateur oscille entre l’horreur et la pitié que lui inspire le comte. Le personnage de Mina diffère également de l’œuvre originale dans cette adaptation : elle n’est plus victime de la créature mais la réincarnation de son amour perdu, tombant amoureuse de Dracula et l’intimant même de l’emmener “loin de toute cette mort”.
Coppola fait donc le choix de mettre en valeur l’amour éternel, ce sentiment tout-puissant qui semble défier le temps et la mort et donne un sens à l’existence. Le film, à la dimension érotique prononcée – les vampires ont autant soif de sexe que de sang – incarne les pulsions de l’être humain dans son rapport à la sexualité, à la folie et à la mort. Il n’est donc pas étonnant que, près de trente ans plus tard, le Dracula de Coppola soit toujours considéré comme l’une des adaptations phares du roman de Bram Stoker, et qu’il ait marqué sa génération par ses choix narratifs, esthétiques et artistiques radicaux et audacieux.
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