Entre Vertigo d’Hitchcock et les fictions gigognes de Rivette, un fascinant portrait de cinéaste en crise nimbé de fantastique. Une vraie découverte.
Une tache rouge qui peu à peu colonise un dos. Un cinéaste
qui parcourt les musées pour trouver l’inspiration au cœur des tableaux. Un homme qui déambule au milieu des femmes et se perd dans leurs yeux, dans leurs mots. Une chasse aux monstres, un attrape-fantômes, une offrande aux vampires… Tout cela et mille autres choses encore. Le Dos rouge est le deuxième long métrage de fiction d’Antoine Barraud.
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Il suit une foule de courts métrages fabuleux (dont trois consacrés à la figure du monstre), une poignée de documentaires fascinés (par des cinéastes : Kenneth Anger, Kohei Oguri, Koji Wakamatsu) et un premier long fureteur, Les Gouffres, sorti l’an dernier. En tout et pour tout, une dizaine de titres en dix ans, où déjà tournoyaient tous les motifs ici jetés sur la toile avec une impressionnante maîtrise.
Antoine Barraud tourne beaucoup, avec ce qu’il a sous la main, quand les conditions le lui permettent. Pour Le Dos rouge, il a mis trois ans, filmant à intervalles irréguliers, quand ses comédiens étaient disponibles et quand de maigres subsides revenaient trouer ses poches. L’envie lui vint en 2010 de faire à nouveau le portrait d’un cinéaste, fictionnel celui-ci contrairement aux précédents, après avoir vu De la guerre de Bertrand Bonello.
Un rite initiatique et séducteur entre Bertrand Bonello et Jeanne Balibar
Ce dernier y scrutait la crise d’inspiration d’un cinéaste à l’approche de la quarantaine. Déjà une histoire de création, de crise, de mutation. Barraud écrivit une lettre d’admiration à son auguste collègue, le rencontra et lui dit : “J’aimerais bien être votre ami”, tout comme le fait ici, avec une candeur désarmante, le personnage de journaliste interprété par le génial Nicolas Maury. De ce pacte (peut-être bien faustien) naquit ainsi un étrange film,
Le Dos rouge, dont la splendeur ne laisse rien deviner de son parcours accidenté.
La splendeur, elle est tout d’abord dans les toiles que Barraud fait scruter à Bonello (très convaincant dans son propre rôle), tandis que Jeanne Balibar, à ses côtés, les commente de son docte verbe. Se répète ainsi tout au long du film une sorte de rite, initiatique puis séducteur, entre le cinéaste – qui, du Louvre à Beaubourg, cherche l’étincelle, l’émotion, l’épiphanie qui lui permettra de donner un peu de chair aux quelques lignes maladroites qu’il a pitchées à sa productrice et à ses acteurs (“je voudrais bien… faire un film… autour de la monstruosité”, en substance) – et cette historienne de l’art qui lui fait la visite, essayant de lui ouvrir les portes du sens. Ne serait-ce que pour entendre la comédienne, matoise, donner son interprétation des Miró, Moreau, Caravage ou Chassériau, le jeu en vaut la chandelle.
Un complexe mille-feuille à la fois sensuel et cérébral
Ces visites au musée constituent, disons, la première couche du film, très belle, et souvent très drôle. Puis d’autres s’ajoutent, par légers glissements ou violents rebonds, qui finissent par faire du Dos rouge un complexe mille-feuille, à la fois sensuel et cérébral, en tout cas profondément organique. C’est d’abord, disions-nous, cette tache rouge, sanguine, qui grossit
sur le dos du cinéaste au risque d’en faire bientôt, lui aussi, un monstre. C’est ensuite cette Madeleine d’entre les morts, projet fantôme de Bonello autour de Vertigo, enterré depuis longtemps et dont on voit ici, à travers une scène (avec Alex Descas et Isild Le Besco), à quoi le film aurait pu ressembler. C’est enfin des scènes de vie privée, aux côtés d’une épouse (Joana Preiss), d’une sœur (Nathalie Boutefeu), d’une productrice (Valérie Dréville), voire d’une mère (la voix off du début, durassienne en diable, de Charlotte Rampling), qui dessinent la personnalité d’un esthète délicat.
Vertigo, les femmes, les monstres, les doubles, les fantômes, le sang…
Tout se noue peu à peu et finit par cristalliser autour d’une toile de Léon Spilliaert : un Autoportrait au miroir sidérant, qui semble enfin fasciner notre cinéaste. Car enfin il se reconnaît dans le seul miroir capable de réfléchir son image : celle d’un vampire. Antoine Barraud, comprend-on alors, se nourrit du sang de Bertrand Bonello pour faire son film, qui lui-même se nourrit du sang de celles et ceux qui l’entourent, et ainsi de suite. L’art n’est jamais rien d’autre qu’un acte de vampirisme, c’est-à-dire un acte d’amour et d’égoïsme mêlés, poussés à leur paroxysme.
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