Un tableau joyeux et coloré de l’Andalousie arabe au XIIème siècle, mais aussi et surtout une peinture impitoyable de la violence politique déguisée en pureté religieuse. Nous sommes en France au XIIème siècle. On voit un homme brûler sur un bûcher, au pied des remparts de Carcassonne. Son crime ? Avoir traduit les textes d’un […]
Un tableau joyeux et coloré de l’Andalousie arabe au XIIème siècle, mais aussi et surtout une peinture impitoyable de la violence politique déguisée en pureté religieuse.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Nous sommes en France au XIIème siècle. On voit un homme brûler sur un bûcher, au pied des remparts de Carcassonne. Son crime ? Avoir traduit les textes d’un hérétique, un musulman, arabe andalou, Abû al-Walid ibn Rushd, plus connu sous le nom d’Averroès. Une façon pour Youssef Chahine de dire, dans ce nouvel opus historique encore plus vif et éclatant que le précédent (L’Emigré), que l’esprit d’intolérance et la haine intégriste ne se réduisent pas au monde islamique. Après cet acte de violence religieuse en pays cathare, le jeune fils du supplicié, Joseph, alias Youssef, part à la recherche du philosophe Averroès en Andalousie, où se déroule la plus grande partie du film.
Idée géniale du madré Chahine : concocter un film populaire, chaleureux et enjoué, un drame rieur, émaillé de chants et de danses à la façon des comédies musicales égyptiennes, fertile en rebondissements de roman de cape et d’épée, qui soit en même temps une description édifiante et circonstanciée du processus intégriste. En relatant les bonheurs, les malheurs et les controverses d’un groupe de bons vivants cultivés gravitant autour du philosophe Averroès sous le règne du calife al-Mansour, Chahine peut s’attaquer plus librement à sa bête noire : il lance un brulôt engagé sur lequel la censure islamique de son pays ne peut avoir de prise dans les grandes lignes, les faits qu’il relate sont avérés historiquement.
Plus concrètement, Le Destin montre comment, au XIIème siècle, dans le royaume d’al-Andalus (l’Andalousie actuelle), lieu-phare de la pensée de l’époque, l’influence d’une secte intégriste épaulée souterrainement par un Iznogoud local, le cheikh Riad, vient compromettre l’ouverture morale et culturelle de cette société. Les livres d’Averroès, ferments de la pensée scientifique des siècles à venir, seront détruits par un autodafé.
Le cinéaste redonne ses lettres de noblesse à un monde arabe à la recherche de son identité, en nous rappelant que la pensée andalouse du Moyen Age est le chaînon manquant entre la philosophie grecque que nous ne connaîtrions sans doute pas aujourd’hui sans les Arabes et le siècle des Lumières. Mais Le Destin n’est pas pour autant un docte cours d’histoire comparée. C’est même tout le contraire : si les faits sont authentiques dans les grandes lignes, le film prend des libertés nécessaires avec l’Histoire pour aboutir à un divertissement intelligent.
Si la pensée d’Averroès qui procède en partie d’Aristote n’est pas très développée ou explicitée ici, c’est plutôt l’expérience citoyenne du philosophe, son rôle dans la communauté, comme sage, comme modérateur entre les différentes factions, que Chahine met en avant. Un passeur, aurait dit Daney… Ici, le philosophe est le truchement évident du cinéaste. Encore et toujours, dira-t-on, tant Chahine a la manie de l’autoportrait. Arabe chrétien né à Alexandrie, la ville la plus cosmopolite d’Egypte, Chahine s’est imposé peu à peu comme cinéaste clé du monde arabe le plus ouvert, dans le meilleur sens, à la culture occidentale. La défaveur, puis la censure, dont souffre Averroès est similaire à ce que subit Chahine, figure respectée et populaire, gloire nationale égyptienne, mais en même temps constamment sur le fil du rasoir, régulièrement vilipendé pour son franc-parler ou son franc-filmer. L’interdiction en Egypte de L’Emigré, son film précédent, a d’ailleurs poussé ce casse-cou de 70 ans à tourner Le Destin où il a, de plus, intégré des épisodes de sa vie qui avaient pour lui valeur d’exemple : la soudaine conversion à l’intégrisme de son acteur fétiche, Mohsen Mohiedine, vedette de quatre de ses films, lui a notamment inspiré le personnage d’Abdallah, fils du calife dévoyé par les fanatiques. C’est celui pour lequel Chahine a le plus de tendresse, avec ses doutes, sa violence, sa faiblesse, qui le mènent de la danse profane sur la terrasse de la gitane à la danse rituelle de l’inquiétante secte où il est enrôlé. Décrivant avec maestria le glissement progressif d’un camp à l’autre, Chahine détaille le mécanisme d’endoctrinement et l’entraînement du guerrier de la foi qui, comme dans toutes les sectes voire dans les groupuscules terroristes commence par une séduction presque amoureuse.
{"type":"Banniere-Basse"}