Une fable sur le vertige des nouvelles images, qui se clôt en mélo déchirant. Par le réalisateur de « Valse avec Bachir ».
Ça commence par des larmes : celles de Robin Wright, sermonnée par son agent (Harvey Keitel, attachant brontosaure aussi largué que sa cliente) qui lui reproche d’avoir, depuis trop longtemps, fait de mauvais choix de carrière.
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Tout cela, cependant, n’aura bientôt plus d’importance, puisque de choix il n’y aura plus : il y aura ceux qui se seront pliés au nouvel ordre cinématographique et qui, scannés par quelques grands studios (en l’occurrence “Miramount”), verront leurs avatars numériques agir indépendamment sur des écrans toujours plus envahissants ; et puis il y aura les autres, au chômage.
Larmes d’un personnage, larmes d’une actrice ? Malgré les incessants démentis de l’intéressée (“Ce n’est pas moi, ce n’est pas moi”, répétait-elle à Cannes, où le film fit l’ouverture opportune de la Quinzaine des réalisateurs), il est impossible de ne pas voir dans cette fiction, imaginée par le méphistophélique Ari Folman, un décalque quasi identique de la réalité.
Jugez : Robin Wright s’appelle ici Robin Wright, elle a explosé, nous dit-on, dans Princess Bride et Forrest Gump, et elle est une mère divorcée qui a refusé les bons rôles pour élever ses deux enfants. Sachant qu’elle – la vraie – s’est également fait “scanner” pour deux films de Robert Zemeckis (La Légende de Beowulf et Le Drôle de Noël de Scrooge), cela fait beaucoup de coïncidences…
En fait, ce tremblement est le premier d’une longue liste, qui n’ambitionne pas moins que d’exploser la paroi, de plus en plus fine, entre réel et fiction, dans la lignée des films de Satoshi Kon (Perfect Blue), des romans de Philip K. Dick ou, donc, de Stanislas Lem, dont Folman adapte ici librement Le Congrès de futurologie.
Pendant une première demi-heure très enlevée, drôle, grinçante, et somme toute modeste, le film suit l’actrice hésitante, de réunions de travail en scènes de famille, se demandant si elle doit ou non céder aux sirènes du scan. Les films de SF débiles qu’on lui promet sont-ils pires que les pensums sur le nazisme où elle s’est déjà illustrée ? Pas sûr. Finalement, une mise en application dudit scan – plus beau portrait de la sweet texan blond dont on pouvait rêver – conclut superbement cette première partie. Puis le film change de registre, presque d’argument.
Vingt ans plus tard, nous voilà passés de la “prise de vue réelle” (drôle d’expression, au demeurant, comme si une image pouvait être réelle…) à l’animation. Une animation au style cartoonesque, joliment désuet et au bord de la saturation baroque, qui pastiche le dessin des frères Fleischer (Betty Boop, Popeye, etc.). Dans le futur, imagine Folman, quelques grands conglomérats orchestreront la fusion entre cinéma et psychotropes, fournissant à des armées de spectateurs-zombies un spectacle permanent, substituant à leurs regards un monde qui s’accordera enfin, et cette fois-ci pour de bon, à leur désirs. Tu rêves d’être Clint Eastwood, d’avoir des ailes ou de voir les femmes comme dans un tableau de Picasso ? Easy.
On aurait cependant tort de ramener le propos du film à un platonisme caricatural : ce bon vieux monde tangible menacé par les ombres aliénantes, blablabla. Au contraire, l’auteur de Valse avec Bachir ne cesse de se demander si l’illusion ne serait pas, au fond, préférable à l’insoutenable réel. Surtout, plutôt que de s’appesantir sur les implications philosophiques, il se jette corps et âme dans les yeux mélancoliques – mais jamais nostalgiques – de son actrice, embrassant ses destinées sur plusieurs décennies.
L’emballement narratif (et graphique) qui en résulte – et risque, avouons-le, d’en perdre certains – est ce qu’il y a de plus vertigineux dans Le Congrès. Ce moment où, toutes amarres larguées, rien n’importe plus qu’une mère à la recherche fébrile d’un fils, réminiscence d’un petit robot désespéré en quête de sa mère dans A.I. Et finalement tout se terminera par des larmes : les nôtres.
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