La nouvelle fable morale de l’auteur d’Une séparation, tiraillée entre une grande habileté de storytelling et une certaine pesanteur démonstrative.
Avec une régularité de métronome, Asghar Farhadi continue de proposer ses histoires en forme de contes moraux (même si l’on est ici très loin de Rohmer), dépeignant la société iranienne et particulièrement sa classe moyenne. Le Client est ainsi emblématique de la principale force de son cinéma : un récit extrêmement touffu, riche en fausses pistes, virages et retournements divers qui font passer les personnages par tout l’arc du bien et du mal.
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Qu’on en juge : Emad et Rana sont comédiens, mari et femme, et viennent de déménager en attendant la réparation de leur appartement abîmé par un tremblement de terre. Dans le nouveau logement, un homme surprend Rana nue dans sa salle de bains, veut coucher avec elle, la prenant (de dos) pour l’ancienne locataire, une prostituée dont il était le client. Rana se blesse en se défendant et le client détale quand il comprend sa méprise.
Sur le qui-vive
Ainsi, Le Client démarre comme un film catastrophe, se poursuit par une paisible chronique du déménagement sans saillie spectaculaire, puis survient le fait divers dont on met un peu de temps à comprendre la teneur exacte, avant d’arriver à la question centrale du film, après une quarantaine de minutes : comment Emad et Rana, bourgeois éduqués et cultivés, vont-ils réagir à l’agression, fut-elle minime et résultant d’un mauvais quiproquo, et comment vont-ils traiter le “client” ?
La façon dont Farhadi déploie les multiples couches de son récit est assez prenante du strict point de vue dramaturgique. On ne sait pas toujours où le film nous emmène, on est happé par ses changements de direction et sur le qui-vive en attendant le prochain tournant. A travers ce récit s’élabore le portrait nuancé de bourgeois iraniens contemporains, très éloigné de l’image réductrice des couples avec la femme en tchador qu’on a parfois pour ce pays. Hormis son foulard, Rana ressemble à n’importe quelle femme occidentale, maquillée et élégamment vêtue ; le couple est cultivé et répète Mort d’un commis voyageur d’Arthur Miller, une pièce américaine, donc.
Un regard subtilement féministe
Le film explore aussi la question de l’honneur, du machisme culturel, de l’écart entre la loi de la pulsion et l’état de droit. Le regard de Farhadi est subtilement féministe, lorsqu’il fait apparaître des dissensions entre Rana et Emad sur la teneur de la réplique au “client” : le mari est le plus tribal et tripal, alors que la femme aimerait juste tourner la page.
Il est dommage que la partie finale alourdisse le film par une situation à la fois pénible en soi, pesamment démonstrative et mécanique par son retournement binaire. Jusqu’à ce clou moralisateur trop lourdement enfoncé, Farhadi avait confirmé son talent d’efficace storyteller et de remarquable directeur d’acteurs.
Le Client d’Asghar Farhadi (Iran, 2016, 2 h 03)
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