Selon une étude de BFM Business, seulement un film français sur dix est rentable en 2013. Vraiment ?
C’était il y a un an : le 28 décembre 2012, le producteur Vincent Maraval catapultait sur la grande famille du cinéma français une tribune mémorable sur les dysfonctionnements de son système économique. Dans la foulée, entre montées au créneau et réponses vitriolées, BFM Business ajoutait son grain de sel, passant toutes les sorties de l’année 2012 à un test de rentabilité de leur cru. Conclusion redoutable : 9 % seulement des films sont “rentables” selon la définition BFM.
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Cette année, rebelote. Dans un contexte d’importante remise en question du cadre légal du ciné français, la ministre de la Culture Aurélie Filippetti organise des “Assises pour la diversité du cinéma”, additionnées d’un rapport doté de cinquante propositions de réforme du système actuel. Ce rapport Gallois pour le septième art porte la marque des débats qui ont secoué l’industrie en 2013 : on y trouve des mesures d’incitation à la baisse du cachet des acteurs (coucou Vincent Maraval), à côté de gestes de modernisation comme un encadrement du crowd-funding, ou un meilleur encouragement de l’offre légale de téléchargement et de la vidéo à la demande, secteur plutôt à la traîne en France.
Méthodologie opaque
C’est dans ce climat de brainstorming que BFM Business vient glisser l’épisode 2 de son étude de rentabilité. La méthodologie est à la fois simpliste et opaque : prenez chaque film sorti en 2013, multipliez le nombre de spectateurs par le montant moyen des remontées de recettes octroyées au producteur (environ 2,40 € par ticket vendu). Il vous manquera encore les mannes indispensables que sont le DVD et le Blu-Ray, la télévision, les ventes à l’étranger, etc. Ainsi donc BFM s’appuie sur une étude de l’École des mines datant de 2008, pour appliquer des coefficients et obtenir un montant prévisionnel des recettes. Ce montant, comparé au budget, donne un “rendement” au film.
C’est ainsi que La Vie d’Adèle apparaît comme le film le plus rentable de 2013, avec son budget de 4 millions d’euros et son million d’entrées : 219 % de rendement. Dans le top 10 se croisent des gros calibres ayant réussi leur pari, et de plus petits ayant joliment cartonné : en quatorzième place, L’Inconnu du lac perce à 111 % ; les deux meilleurs films français de l’année réussissant ainsi tous deux à entrer dans la catégorie très sélect des 11 % de films français ayant passé la barre des 100%. Le classement complet est disponible ici.
Pourtant, le sinistre constat ne fait pas l’unanimité. Le Passé d’Asghar Farhadi, presque un million d’entrées au compteur, y pointe à 69 % de rendement. Son producteur et distributeur, Alexandre Mallet-Guy (Memento Films), ne cache pas sa colère :
“C’est une aberration que de dire que Le Passé n’est pas un film rentable. Nous avons déjà passé le seuil avec les ventes à l’étranger. C’est un film d’auteur cher (il y en a peu), paré à bien marcher à l’international grâce à l’aura d’Asghar Farhadi et ses récompenses en festival. Nous sommes aux Golden Globes et à plusieurs autres cérémonies où le cinéma français est très bien représenté, avec La Vie d’Adèle la même année, ou La Grande Bellezza qui est une coproduction française.”
Eponge à subventions ?
Le ton tout sauf neutre de l’étude de BFM fait écho à un climat assez hostile au système de financement du cinéma français, ressenti ces derniers mois notamment dans Le Point (“Pourquoi il faut arrêter de financer le cinéma français”, par Jérôme Béglé le 8 décembre dernier) : le contexte économique difficile tend à pointer du doigt un secteur qu’il est facile de caricaturer en éponge à subventions. La culture contribue pourtant sept fois plus au PIB que l’automobile, comme le démontrait une enquête conjointement menée par les ministères de la Culture et de l’Économie, comme pour répondre à un climat de plus en plus agressif.
Le “prévisionnel” de BFM apparaît en effet comme assez divinatoire : on ne peut pas appliquer un coefficient comme si tous les films allaient traverser le marché de la vidéo ou se vendre à l’étranger de la même façon. Alexandre Mallet-Guy ajoute :
“S’il y a un cinéma national fort dans le monde, avec le cinéma américain, c’est le cinéma français. La méthode de BFM n’est pas pertinente parce que chaque film est un prototype !”
Mais l’état d’esprit de l’enquête ne semble pas innocent :
“Des tribunes récentes, puis cette étude, insinuent un climat accusateur. Dans la crise actuelle, il faut chercher des mannes financières, et il n’est pas impossible que le fonds de soutien du CNC (Centre National du Cinéma et de l’image animée) finisse par en souffrir.”
A juste titre, ou en bon bouc émissaire, telle est donc la question.
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