Tandis qu’Eric et Ramzy jouent les Bruce Willis trépanés dans « La tour 2 controle infernale », retour en neuf points sur la longue relation, pas toujours très heureuse, entre le cinéma comique français et le genre parodique.
On ne devrait jamais confondre le pastiche et la parodie. La parodie, c’est l’imitation moqueuse et exagérée, tandis que le pastiche, c’est l’imitation fidèle jusque dans la forme, au risque du plagiat. Il arrive cependant que les deux se rejoignent, créant une ambiguïté comique indéniable. Le cinéma français, sans dédaigner les genres, a plutôt inventé une tradition qui se joue des codes, les ignore, les maltraite, les mélange, en invente (le réalisme poétique, le film de chambre, la comédie sociale, etc.). Le cinéma comique français, pour autant, c’est souvent amusé à singer le cinéma de genre, y compris américain. Sans doute parce qu’il est plus facile de s’attaquer à des règles intangibles qu’à un cinéma trop libre. En voici quelques exemples.
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1) Les vécés étaient fermés de l’intérieur de Patrice Leconte (1976) : le film policier à la française
Premier film de Leconte, Les vécés étaient fermés de l’intérieur sont l’adaptation d’une bande dessinée déjà parodique, l’une des fameuses rubriques à brac de Marcel Gotlib. Y sont moqués tous les codes du genre : un crime commis dans une pièce close de l’intérieur (ici sur un facteur…), la chaleur d’une arme, des indices bidons, l’intelligence de l’enquêteur, la poursuite…
2) Mais qui a tué Pamela Rose ? d’Eric Lartigau (2003), avec Kad Merad et Olivier Baroux : le film policier à l’américaine
Kad et Olivier, en agents du FBI à la recherche d’un criminel, parodient très clairement tous les codes du récit du film policier, un peu comme Leconte vingt-cinq ans plus tôt. Mais c’est cette fois-ci l’Amérique qui les fascinent, et le cinéma français tente de se la jouer. Le plaisir se situe aussi là. Le titre est évidemment une allusion à Twin Peaks, la série policière de David Lynch, et à Laura Palmer, la jeune fille assassinée.
3) La cité de la peur d’Alain Berbérian et les Nuls (1994) : le thriller ou slasher
Qui tue l’un après l’autre les projectionnistes d’un film d’horreur de dernière zone présenté au festival de Cannes ? Heureusement, le commissaire Bialès (Gérard Darmon) va mener l’enquête… On retrouve tout le sens de l’absurde des Nuls dans cette parodie à la fois du slasher et du monde du cinéma : l’attachée de presse idiote (Chantal Lauby), le garde du corps macho (Alain Chabat), l’acteur débile (Farrugia). Darmon, en commissaire médiatique et tombeur, est épatant aussi.
https://www.youtube.com/watch?v=k-tPUTtHy58
4) Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine de Coluche et Marc Monnet (1977) : le film de cape et d’épée
L’unique film réalisé par Coluche reprend tous les clichés du film de cape et d’épée, en mélangeant allègrement les époques. On y voit notamment Gérard Lanvin, avec l’accent de Luis Mariano, chanter à plusieurs reprises (à chaque fois qu’on lui demande qui il est…) une parodie de chanson d’opérette de Francis Lopez intitulée : « Je suis le chevalier blanc« . Coluche interprète le rôle du roi de France Pif 1er et ses démêlés avec d’horribles complotistes. Aidé par le chevalier blanc et des mousquetaires (tous issus du café théâtre…), il réussira à reconquérir son trône. Déçu par l’échec du film, Coluche n’en réalisera plus jamais. Là encore, il s’agit de singer tous les codes habituels du roman d’aventure historique à la Dumas.
https://www.youtube.com/watch?v=uPlxRla08uM
5) Les Charlots contre Dracula de Jean-Pierre Desagnat (1980) : le film de vampire
De nos jours, le comte Dracula a besoin d’un sosie de sa mère afin de pouvoir ingérer en toute sérénité sa boisson vampirique (sic). Il engage pour cela un détective, interprété par Gérard Jugnot, qui va tenter d’enlever une copine des Charlots. Mais ils vont bien sûr la sauver. C’est totalement débile, et le personnage de Dracula n’est qu’un cliché du personnage original. Aucune parodie du roman de Bram Stoker, comme dans Le bal des vampires de Polanski, par exemple. On se demande même si le scénario n’a pas été écrit pour illustrer le titre du film, sans doute jugé vendeur.
6) Deux heures moins le quart avant Jésus Christ de Jean Yanne (1982), le peplum anachronique « à la Mel Brooks »
A l’époque de la sortie de son film, Jean Yanne clamait partout que tout ce qui était dans le film était vrai, puisqu’il l’avait lu dans La vie quotidienne à Rome à l’apogée de l’Empire, un grand classique de l’historien Jérôme Carcopino (accessoirement secrétaire d’Etat à l’éducation et à la Jeunesse sous Pétain…). Vaste fumisterie. Bénéficiant d’un budget assez pharaonique, Yanne tourne surtout une sorte de blockbuster franchouillard et anachronique avec défilés de tous ses copains comiques : Coluche en Ben Hur Marcel, est garagiste pour char, Michel Serrault est un empereur homosexuel, Darry Cowl, etc. C’est un peu n’importe quoi. On dirait plus une parodie d’un film historique de Sacha Guitry, avec caméos de « vedettes ». Mais oui, on y retrouve ce qui travaille le cinéma politique de Jean Yanne : le monde actuel n’a rien inventé, tout est comme dans l’antiquité, donc corrompu.
7) Une aventure de Billy le kid de Luc Moullet (1971) : le western d’auteur
Est-ce vraiment une parodie ou un pastiche ? La question pourrait s’appliquer à toute l’œuvre de Luc Moullet, poète cinématographique pince-sans-rire, dont ne sait jamais trop s’il faut ou non le prendre au sérieux et grand amateur, critique et connaisseur du cinéma classique hollywoodien. Dans cette aventure du célèbre hors-la-loi du far-west, Billy the Kid est interprété par Jean-Pierre Léaud, plus drôle que jamais. Lui aussi acteur ambigu, totalement sincère et totalement distancié à la fois. Les décors des alpilles sont magnifiquement filmés, dans un bel hommage à John Ford et son sens de l’espace.
8) Papy fait de la Résistance de Jean-Marie Poiré (1983): le film de Résistance
Le scénario de Martin Lamotte est un mélange de Fantômas, L’armée des ombres, Le Silence de la mer de Jean-Pierre Melville et peut-être Le mur de l’Atlantique de Marcel Camus avec Bourvil. Poiré et ses amis du Splendid, alliés à quelques anciens (Galabru, Maillan, Carmet), se moquent clairement du film de résistants, tout en réussissant à ridiculiser des Allemands d’opérette (interprétés par Jacques Villeret et Roland Giraud). C’est la version post-moderne de La Grande vadrouille. Le film se termine par un débat télévisuel, de type Dossiers de l’écran (émission phare de l’ORTF), entre les personnages du film. Une scène un peu dérangeante qui renvoie dos-à-dos les uns et les autres dans une sorte d’unanimisme benoît.
https://www.youtube.com/watch?v=5xiWerqsV74
9) La tour Montparnasse infernale de Charles Nemes (2001) et La Tour 2 contrôle infernale d’Eric Judor (2016) : le film d’action
Eric et Ramzy sont laveurs de carreaux sur la tour Montparnasse. Ils vont être les témoins d’un hold-up. S’en suivra une série de péripétie impossible à raconter. Parodie de film d’action à la Mission impossible, La tour Montparnasse infernale et son préquel sont surtout l’occasion de donner un cadre au comique si singulier d’Eric et Ramzy, Laurel et Hardy contemporains.
Jean-Baptiste Morain
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