Depuis quelques années, les premiers films français parmi les plus intéressants sont signés par des réalisatrices. Le cinéma français est-il enfin en train de changer de sexe? Discussion sur la question avec trois jeunes réalisatrices : Sophie Letourneur (La Vie au ranch), Katell Quillévéré (Un poison violent), et Rebecca Zlotowski (Belle Epine).
Rencontre avec Rebecca Zlotowski: « Notre vrai point commun n’est pas sexuel mais social. »
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Passée par Normale sup’ et par la Fémis, la vive et brune Rebecca Zlotowski confie avec un brin de honte et de coquetterie qu’elle doit beaucoup à ces deux écoles qui l’ont aidé à se cadrer et à passer outre sa léthargie naturelle. A voir Belle épine, son premier film, qui sort cette semaine, on a un peu de mal à la croire, tant c’est l’un des films les plus exigeants, les plus scandés et les plus travaillés de sa génération.
bourgeoises et parisiennes “Quand on regarde le nombre de films de femmes sélectionnés à Cannes en mai dernier, on s’aperçoit qu’il y en avait très peu. Je ne crois pas qu’il y ait plus de films réalisés par des femmes en ce moment.
Notre vrai point commun à toutes les trois n’est pas sexuel mais social et presque géographique : nous sommes bourgeoises (pas des grandes non plus) et parisiennes (Katell et moi étions même dans le même collège). Nous sommes surtout représentatives de la propension des jeunes de notre génération à faire un film quand ils sont issus de ce type de milieu.”
les clichés sur la féminité “Ce qu’apportent les trente dernières années du point de vue des études sociologiques, c’est une réflexion sur la notion de genre. Elle n’est pas associée au sexe.
Aujourd’hui, on peut assigner à des hommes des valeurs de féminité et à des femmes des valeurs de virilité. Est-ce qu’il existe un cinéma masculin et un cinéma féminin ? Je ne sais pas. On pourrait aussi poser d’autres questions : est-ce qu’il y a un cinéma pédé, un cinéma lesbien ? Y a-t-il un protocole dans la mise en scène qui serait lié à la sexualité ? Certainement, dans la mesure où le désir dans le cinéma a une place prépondérante. C’est passionnant mais inextricable.
Personnellement, je ne crois pas qu’il y ait un cinéma d’hommes et un cinéma de femmes. Et le contraire sous-entendrait quelque chose de grave : si l’on assignait aux femmes plus de sensibilité, plus d’intimité, tous ces clichés qu’on peut accoler à la féminité, ce serait une manière de sous-entendre qu’il y a moins de mise en scène dans le cinéma féminin, qu’elles mettent moins de rigueur, de cérébralité dans leurs plans. C’est faux : regardez nos films.”
filmer la jeunesse “Je pense que mon film raconte une histoire de gens jeunes parce que c’est un âge plus proche du mien et parce qu’on essaie de raconter des choses que l’on connaît. Avec l’idée naïve que c’est comme cela qu’on le racontera le mieux.
L’adolescence a été essorée par des cinéastes que j’aime comme Gus Van Sant, Larry Clark, Pialat. Je ne me voyais pas l’aborder. J’ai préféré la jeunesse. Ce qui me plaisait, c’était de faire jouer des rôles de jeunes gens à des actrices un peu plus âgées, comme on le faisait dans le cinéma hollywoodien. Et la disparition est vraiment un sujet de cinéma à plein.
J’ai superposé les deux : la jeunesse, on ne peut la filmer que lorsqu’elle disparaît. Désigner la jeunesse, c’est aussi accepter qu’elle se soit éloignée de moi. Donc forcément, on filme différemment : le scope, l’horizontalité, le 35 mm avec des arrière-plans très flous pour que les personnages puissent disparaître rapidement dans la profondeur, se flouter eux-mêmes. Voilà ce qui m’intéressait : comment les choses peuvent s’évanouir, mais aussi comment les scotcher un moment pour qu’on les voie.”
propos recueillis par Jean-Baptiste Morain.
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