Depuis quelques années, les premiers films français parmi les plus intéressants sont signés par des réalisatrices. Le cinéma français est-il enfin en train de changer de sexe? Discussion sur la question avec trois jeunes réalisatrices : Sophie Letourneur (La Vie au ranch), Katell Quillévéré (Un poison violent), et Rebecca Zlotowski (Belle Epine).
Rencontre avec Katell Quillévéré : « Quand je crée, je ne revendique pas la fait d’être une femme. »
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Remarquée pour L’Echappée, son troisième court métrage, prix Jean-Vigo 2010 avec son premier long métrage, Un poison violent, Katell Quillévéré, tout juste 30 ans, a également été programmatrice du festival du moyen métrage de Brive. Dans Un poison violent, elle raconte l’adolescence et la découverte de la sexualité d’une jeune Bretonne.
parler de soi “J’ai senti une très grande diversité, et dans les sujets et dans la forme, entre nos trois films. En revanche, nous avons toutes trois choisi un sujet personnel : pas forcément de l’autobiographie, mais quelque chose qui a un rapport avec parler de soi et comment parler de soi. Mais Sophie part de l’altérité complète, du documentaire.Rebecca plonge son film dans un milieu, celui des motards, avec une part fantasmatique qui lui permet de rejoindre des questions plus intimes. »
le féminin et l’art « Je n’ai jamais été à l’aise avec l’idée qu’il y aurait une identité sexuelle chez un réalisateur dès lors qu’il est dans un processus de création. Pour moi, dès lors que je crée, je ne revendique pas le fait d’être une femme. En plus, l’identité sexuelle est une question éminemment complexe, parce qu’il y a une identité physique, une identité psychique et une identité qu’on développe quand on invente, qui est peut-être plus polymorphe encore.
Quand j’invente un personnage, je me mets à essayer de penser comme un vieillard de 80 ans qui va bientôt mourir, comme une jeune fille de 14 ans, comme une femme proche de la ménopause qui vient d’être quittée, etc. Du coup, mon identité se déploie, devient diffuse, diverse. Je n’ai jamais été à l’aise avec la question du féminin en art. Et puis un tas d’hommes immenses m’ont influencée, comme Bergman. Si je me demande : ‘Si je n’avais rien su d’eux, est-ce que j’aurais pu savoir si c’était des hommes ou des femmes ?’, je crois que non. »
filmer l’adolescence « A partir du moment où je vais chercher une actrice qui est dans son adolescence et qui, par définition, n’est pas actrice de métier, je suis obligée de faire avec ce qu’elle est.
Je dois être consciente que je suis aussi en train de filmer un documentaire sur ce qu’elle est à cet âge de sa vie. Et que mon film ne sera réussi et riche que si j’accepte de m’ouvrir à cette vérité-là et à la saisir. Du coup, il faut que je sois encore plus ouverte et attentive aux accidents du réel, à une fragilité qui fera partie des plus belles choses qu’elle pourra me donner.
On peut aussi avoir cette démarche-là avec tous les acteurs : mon film est aussi un film sur Michel Galabru à la fin de sa carrière, et je dois l’aider à me donner cette part-là de lui, celle du vieil homme. Mais je pense que c’est encore plus criant quand on est face à quelqu’un qui ne joue pas parce qu’il ne sait pas ce que c’est que de jouer. Cela influence forcément la forme finale. »
le jeunisme « Ce que j’ai pu constater, au moment de la promo, c’est qu’il y a une presse un peu mode, un peu culture, un peu people qui s’empare des filles et de leurs premiers films parce qu’elles ne sont pas trop moches et pas trop vieilles mais qui ne va pas publier des papiers de fond.
Evidemment, nous en profitons nous aussi. Mais ça devient un système qui fabrique ce mouvement. Je ne pense pas qu’il y ait une réalité derrière la sortie rapprochée de nos films respectifs, simple coïncidence. C’est un vrai phénomène de jeunisme, oui, et c’est à la mode d’être artiste et jeune. Je ne suis pas sûr que ce soit une avancée. »
propos recueillis par Jean-Baptiste Morain
[attachment id=298]>> Rencontre avec Rebecca Zlotowski, réalisatrice de Belle Epine : « Notre vrai point commun n’est pas sexuel mais social. »
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