Depuis quelques années, les premiers films français parmi les plus intéressants sont signés par des réalisatrices. Le cinéma français est-il enfin en train de changer de sexe? Discussion sur la question avec trois jeunes réalisatrices : Sophie Letourneur (La Vie au ranch), Katell Quillévéré (Un poison violent), et Rebecca Zlotowski (Belle Epine).
Rencontre avec Sophie Letourneur : « L’enjeu du film c’est l’image de la femme au cinéma. »
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Après une formation en arts plastiques, atypique pour une cinéaste, Sophie Letourneur s’est fait connaître dans les festivals de cinéma avec les moyens métrages Manue Bolonaise et Roc et canyon. Après ces chroniques sur l’enfance et l’adolescence, elle poursuit dans la même veine plus ou moins autobiographique avec son premier long, La Vie au ranch, sur une bande de filles de 20 ans, en plein sas entre l’adolescence et l’âge adulte.
Travaillant les corps et la parole de ses actrices comme un sculpteur travaille la glaise, Sophie Letourneur y fait joyeusement exploser un certain nombre de clichés sur l’image de la femme au cinéma.
la vague des jeunes femmes cinéastes “Je pense que c’est le genre de choses que remarquent surtout les journalistes. Katell, je la connais bien, je connais son travail, on a le même chef op… Rebecca, j’ai aussi appris à la connaître. On s’apprécie mais on n’est pas pour autant des amies proches, on ne forme pas une bande, contrairement aux filles que je montre dans mon film. Je n’ai pas de bande dans le cinéma. Les films sur des héroïnes de 20 ans, il n’y a pas que des filles qui les font : je pense à La Vie rêvée des anges d’Erick Zonca ou à Des filles en noir de Jean-Paul Civeyrac »
un regard particulier ? « Peut-être qu’on ne filme pas les jeunes femmes comme les filmeraient des hommes… Et encore, je n’en suis pas sûre. Il me semble que le film de Katell aurait pu être fait par un homme. Je crois que le regard se différencie selon chaque individu, pas selon le sexe.
Mais quand on est une artiste, femme, mère, on se pose forcément la question de la féminité, de la maternité, dans le contexte de son art et de sa condition d’artiste. Dans La Vie au ranch, je pose directement la question de l’image de la femme au cinéma.
C’était un enjeu central dans l’écriture et la mise en scène de ce film. Je voulais donner une image de la jeune fille qui ne corresponde pas à celle qu’on voit généralement au cinéma, que ce soit d’ailleurs dans les films de mecs ou de filles. J’ai eu des partis pris dès le casting. Et j’ai fantasmé mes personnages à ma manière, plus crades et moins soignés que dans la réalité, en exagérant.
Je me suis dit que ce serait bien de montrer des filles qui ne sont pas dans l’obsession de leur image ou dans l’orientation de leur image pour la conformer à un regard de mec. Cela dit, je ne crois pas qu’il existe un regard spécifiquement féminin. La façon dont on filme des jeunes filles dépend de son propre positionnement par rapport à la question de l’image de la femme au cinéma. Moi, c’était mon sujet. Rebecca Zlotowski ou Katell Quillévéré ont un autre propos dans leurs films respectifs. Chez Rebecca, c’est le deuil, chez Katell, c’est le rapport à la religion, au désir et à l’interdit. »
la féminisation du métier « Quand on regarde la liste des Palmes d’or à Cannes, il n’y a pas beaucoup de femmes. Mais depuis des pionnières comme Agnès Varda, il y a quand même eu Catherine Breillat, Claire Denis, Noémie Lvovsky, Pascale Ferran, Laurence Ferreira Barbosa… Je me demande d’ailleurs si on leur a posé le même genre de questions à l’époque.
Rebecca, au départ, est scénariste. Scénariste est peut-être plus un « métier de femme », de même que monteuse. Il y a des postes dans le cinéma qui sont plutôt féminins. Je vais répondre à un niveau très personnel plutôt que général. J’ai un enfant, et la vraie difficulté pour moi, c’est ça : concilier ma vie de mère et ma vie d’artiste. Etre mère, ça occupe, ça laisse peut-être moins d’espace pour réfléchir et développer des projets artistiques. La question majeure tourne pour moi autour de ça. Ma plus grande difficulté, c’est de trouver la disponibilité mentale pour me consacrer à la création. »
La Vie au ranch, avec Sarah-Jane Sauvegrain, Eulalie Juster, Mahault Mollaret, en salle depuis le 13 octobre
Propos recueillis par Serge Kaganski
[attachment id=298]>>Rencontre avec Katell Quillévéré, réalisatrice d’Un poison violent : « Quand je crée, je ne revendique pas la fait d’être une femme. »
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