Depuis quelques années, les premiers films français parmi les plus intéressants sont signés par des réalisatrices. Le cinéma français est-il enfin en train de changer de sexe? Discussion sur la question avec trois jeunes réalisatrices : Sophie Letourneur (La Vie au ranch), Katell Quillévéré (Un poison violent), et Rebecca Zlotowski (Belle Epine).
On l’avait remarqué à Cannes, ça se confirme cette saison : l’automne 2010 du jeune cinéma français est majoritairement féminin. Se sont succédé sur les écrans Un poison violent de Katell Quillévéré, La Vie au ranch de Sophie Letourneur, Belle épine de Rebecca Zlotowski, en attendant Bas-fonds d’Isild Le Besco ou Pieds nus sur les limaces de Fabienne Berthaud.
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On pourrait y ajouter Les Runaways de la Canadienne Floria Sigismondi ou Des filles en noir de Jean-Paul Civeyrac (un garçon, certes, mais féminin, si l’on en juge par sa filmo).
Cette féminisation des forces vives du cinéma appelle son lot de questions et de contre-questions. Le cinéma serait-il en avance sur la question sociétale et politique de la parité ? Les réalisatrices dessinent-elles collectivement un regard féminin ? A contrario, regrouper des artistes en fonction de leur sexe a-t-il un sens ? Ne risque-t-on pas de les enfermer dans un ghetto réducteur? Mettre en exergue cette féminisation est-il un geste féministe ou au contraire inconsciemment misogyne ?
Ce qui est nouveau, c’est la prise de pouvoir des filles occupant le centre de l’écran
Estimant que le mieux était que les cinéastes elles-mêmes en parlent, nous avons proposé à trois d’entre elles – Sophie Letourneur, Katell Quillévéré et Rebecca Zlotowski – cette réflexion sur le féminin au cinéma.
A cette montée en puissance des réalisatrices correspond aussi une féminisation des fictions. Certes, la jeune femme est un sujet éternel du cinéma depuis le Loulou de G. W. Pabst. Ce qui est nouveau dans la vague de films actuelle, c’est la prise de pouvoir des filles occupant le centre de l’écran et reléguant les garçons aux marges.
Ainsi de Belle épine, centré sur le visage et le corps de Léa Seydoux, discrètement érotisés. Le principal personnage secondaire est la copine de Léa, les garçons étant cantonnés à un fantasme (un groupe de motards) ou à un simple vecteur de passage de l’état de fille à femme (Johan Libéreau n’est là que parce que Léa Seydoux veut « coucher »).
Les garçons sont présents comme éléments du décor
La Vie au ranch est consacré à une bande de jeunes filles qui partagent le même appartement. Les garçons sont présents, mais comme un élément du décor, un agent d’ambiance. Dans le magma de corps et de voix, les seules qui accèdent à l’individualité d’un personnage sont des filles.
Un poison violent est entièrement axé sur les fantasmes et inquiétudes de son personnage principal, une jeune fille de 15 ans. Et le coeur du film de Jean-Paul Civeyrac est l’amitié fusionnelle entre deux lycéennes, les garçons étant rapidement éjectés du film par les personnages et par le sujet.
La bonne nouvelle, c’est que tous ces films sont singuliers, différents. Formellement, rien de commun entre le formatage indé-hollywoodien des Runaways et le « je » irréductible d’Un poison violent ou de Belle épine, où les réalisatrices font corps avec leur héroïne. Et si La Vie au ranch et Des filles en noir sont tous deux très stylisés, leur forme de stylisation est quasiment opposée.
Du côté de Letourneur, une matière sans cesse mouvante, un brouhaha parfois au bord de la dissonance, de l’informe, une sensation d’improvisation et de vie saisie sur le vif (alors que le film est très écrit et maîtrisé) qui évoque les films de Rozier ou de Cassavetes. A côté de ce film « plein », Civeyrac travaille plutôt le « creux », l’épure, le suggéré, les plans soigneusement composés (mais sans jamais se figer dans le picturalisme), les lumières délicatement sculptées.
Ses modèles seraient plutôt du côté de Bresson, Murnau, Tourneur. Les nouvelles réalisatrices sont certes des femmes, c’est indéniable (et si nous y incluons Jean-Paul Civeyrac, qu’il le prenne comme un hommage), mais ce sont avant tout des individus, des êtres singuliers, des cinéastes – terme indifféremment masculin et féminin.
Serge Kaganski
>>> Rencontre avec Sophie Letourneur, réalisatrice de La Vie au ranch : « L’enjeu du film c’est l’image de la femme au cinéma. »
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