La programmation de Beaubourg comme les textes de Vertigo sont lacunaires, mais ces lacunes mêmes témoignent d’une tentative obstinée pour redéfinir ce vieux serpent de mer de la critique : l’incontestable mais insaisissable dimension historique du cinéma. Aussitôt les questions affluent, que cette manifestation a le mérite de poser différemment : moins la représentation de […]
La programmation de Beaubourg comme les textes de Vertigo sont lacunaires, mais ces lacunes mêmes témoignent d’une tentative obstinée pour redéfinir ce vieux serpent de mer de la critique : l’incontestable mais insaisissable dimension historique du cinéma. Aussitôt les questions affluent, que cette manifestation a le mérite de poser différemment : moins la représentation de l’histoire (la reconstitution à costumes) que l’histoire se donnant en représentation dans le film (malgré lui parfois) ; moins le film comme pièce à conviction (par son discours forcément connoté, ou refoulé) que le cinéma par excellence comme inscription de ce qui aura été. On esquisse même un intéressant renversement de perspective : non plus le cinéaste comme archiviste, mais l’historien comme metteur en scène et l’histoire comme cadrage et montage. Dans tous les cas, on oscille entre une définition par trop restrictive et la légitimation du cinéma tout entier comme geste historique. Il était normal que la programmation achoppe là-dessus, mais telle quelle, éclectique, partielle, elle a le mérite d’afficher ses partis pris et de provoquer la réflexion. Que verrons-nous ? Des classiques « incontournables » (Païsa, L’Espoir…), paresseusement choisis peut-être, mais qui, pour avoir été vus, n’en méritent pas moins d’être regardés. Des incunables (documentaires du plan Marshall, « cinétracts » de Mai 68). Mais aussi des films expérimentaux, des films musicaux (Straub-Demy-Scorsese !), des films de guerre tangentiels (le Vietnam à New York dans L’Année du Dragon ou Taxi driver), des films à la première personne (Mourir à 30 ans de Goupil, Journal intime de Moretti) ou des films en ruine (It’s all true de Welles et Que viva Mexico d’Eisenstein). Cette généreuse diversité a le mérite d’opérer des rapprochements inattendus, mais présente un aspect inabouti : la programmation fait la part belle à l’histoire immédiate et à la manière dont le cinéma lui fait face ; du coup, les rares films de reconstitution historique présentés ici, tel Senso de Visconti, font figure d’alibi théorique, de potentiel inexploité. Or, si l’on convient, comme Cozarinsky, qu’un film dit historique nous en apprend moins sur l’époque qu’il dépeint que sur celle qui l’a produit, il serait intéressant, mettons, de tracer une histoire parallèle de l’Italie à travers l’héritage néoréaliste et le péplum. Autre grief : la perspective exclusivement occidentale d’une sélection selon un axe Europe-Amérique. Or, la lutte anticoloniale visait justement à pouvoir enfin écrire sa propre histoire, à accéder à une représentation de soi. Dommage donc que le « tiers-monde » soit ici réduit à deux films brésiliens (dont l’indispensable Terre en transe de Glauber Rocha). Quelques pistes sont ici privilégiées, et d’abord l’histoire en train de se faire, devant et derrière la caméra : les films prétendent nous informer des événements et, souvent, informer ces événements, leur donner (une) forme, les représenter, parfois en changer le cours. On a donc souvent affaire moins à un regard rétrospectif qu’à l’urgence d’une prise de parole, qui parfois nous ébranle encore, comme dans le cas du combat contre le nazisme, lorsqu’une voix nous dit au présent qu’il faut agir (Chaplin dans Le Dictateur, mais aussi Hitchcock dont on aura vu les deux étranges films consacrés à la Résistance française). L’histoire en question, c’est avant tout celle du xxe siècle, puisque c’est celle du cinéma, et celle qui vient buter sur les limites du représentable. A ce titre, la programmation se place évidemment sous le parrainage de Godard et de Daney, qui situent la rupture en 1945 : la découverte des camps et l’avènement du cinéma moderne. Rien ne sera plus comme avant. A la prise à bras-le-corps du monde en devenir succède donc un cinéma initiatique (La Nuit du chasseur, Moonfleet), violemment singulier (Moretti), volontiers mélancolique (Wenders). En privilégiant des films qui font à la fois le deuil d’une histoire nationale, d’un genre et d’une trajectoire d’auteur : ainsi de La Prisonnière du désert de Ford ou de New York, New York de Scorsese. Et s’il n’en restait qu’un : Non ou la vaine gloire de commander de Manoel de Oliveira, qui invente sa propre forme pour démasquer le leurre historique de l’esprit de mission et dire la malédiction d’un pays qui n’aura été que le rêve perdu de lui-même
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