« Les Amours d’Astrée et de Céladon », le nouveau Rohmer, et cinq de ses films essentiels sont analysés et présentés pour nous par l’un des spécialistes du cinéaste. De nos archives.
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Conte d’hiver (1992)
Avec Charlotte Véry, Frédéric van den Driessche, Jean-Claude Biette…
« C’est pour moi le chef-d’œuvre absolu du cycle des Contes des quatre saisons. Cela parce que j’y vois le seul film vraiment romanesque de Rohmer. Conte d’hiver renvoie à la fois à la pièce éponyme de Shakespeare et à Dickens, toute une tradition féérique anglo-saxonne qui nous sort de la rationalité un peu raisonneuse de la plupart des figures rohmériennes. Il touche vraiment là à l’un des éléments les plus secrets de son cinéma : cette interrogation sur la mise en épreuve de la foi. Jusqu’où quelqu’un est prêt à mettre à l’épreuve sa foi, sa croyance, même dans une situation complètement absurde, jusqu’où il va rester fidèle à l’idée qu’il se fait de lui-même et d’un certain idéal. Pour une fois il épouse ce sujet de l’intérieur et jusqu’au bout alors que d’habitude il laisse tomber ses personnages en cours de route – hommes et femmes se font généralement une idée fausse de leur foi et de ce qu’ils sont, jusqu’à être rappelés à la réalité. Ici, pour une fois, ce personnage de jeune femme qui attend patiemment que se produisent fortuitement les retrouvailles improbables avec un amour ancien est récompensé de ses souffrances et de sa patience et voit réaliser son rêve. C’est exceptionnel dans le cinéma de Rohmer – jusque là, seul Le Rayon Vert épousait un schéma semblable.
On pourrait dire du cinéma de Rohmer qu’il a un côté un peu janséniste, un peu personnaliste, ou en tout cas qu’il a tendance à se fonder sur la valeur individuelle d’une personne qui est d’ailleurs souvent confondue avec son interprète. On a parfois l’impression qu’il croit à certains personnages et pas à d’autre. Cela a tout du pari pascalien de Ma nuit chez Maude, il accompagne certains personnages jusqu’au bout de leur parcours pour les récompenser de leurs efforts tandis que d’autres se retrouvent complètement largués comme Trintignant à la fin de Ma nuit chez Maude, complètement abimé dans une ironie du sort tragique, ou Melvil Poupeau qui se trouve complètement en carafe à la fin de Conte d’été (1996). C’est un cinéma au fond très élitiste, un peu sectaire : n’est pas digne qui veut d’y voir ses désirs se réaliser
On peut aussi pointer dans Conte d’hiver ce que l’on y voit du rapport du cinéma de Rohmer aux autres arts – ici le théâtre. Chez Godard et Truffaut, les peintures et les œuvres musicales ou littéraires qui y apparaissent sont des citations. Chez Rohmer, pas du tout, ce sont des éléments à part entière du récit à partir desquels les personnages se définissent. Que ce soit la musique dans Ma nuit chez Maude, la lecture de certains auteurs, le rapport à la peinture dans Les Rendez-vous de Paris (1995)… Le seul art qu’il n’ait jamais cité, volontairement mise à part, c’est le cinéma. Pour Rohmer, le cinéma n’est pas un art différent des autres, mais il révèle quelque chose que lui seul peut montrer et que les autres arts sont impuissants à montrer. Pour lui le cinéma s’épanouit à partir d’une certaine limite que rencontrent la littérature et les arts du récit traditionnels et ce qui l’intéresse c’est cela : cette chose mystérieuse, presque miraculeuse, que seul le cinéaste sera capable de montrer. En cela il est peut-être le plus cinéaste des cinéastes, et c’est une idée qu’il avait pu développer déjà aux Cahiers du cinéma dans les années 50 ».
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