« Les Amours d’Astrée et de Céladon », le nouveau Rohmer, et cinq de ses films essentiels sont analysés et présentés pour nous par l’un des spécialistes du cinéaste. De nos archives.
Les Nuits de la pleine lune (1984)
Avec Pascale Ogier, Fabrice Luchini, Tchéky Karyo…
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« C’est une des pièces du cycle des Comédies et Proverbes qui est en quelque sorte la troisième époque du cinéma de Rohmer. On en a beaucoup dit qu’il flirtait avec le théâtre ce dont je ne suis pas convaincu. La dimension littéraire et théorique des Contes moraux y est certes moins prégnante, mais on pense surtout à une immersion dans le réel qui fait beaucoup penser à la télévision de l’époque, et en particulier un certain type de téléfilms intimistes que l’on pouvait voir dans les années 80. Le filmage en 16mm y est pour beaucoup. Après les expériences un peu écrasantes de Perceval et La Marquise d’O, Rohmer a voulu revenir à un filmage plus modeste, plus léger, qui lui rappelait le temps de la Nouvelle Vague, et réaliser un peu ce qui a toujours été idéal, disparaître dans son sujet et laisser le monde extérieur s’imposer sans le secours de cet espèce de blablateur qu’était le protagoniste dans Les Contes moraux.
Les personnages masculins des Contes Moraux avaient l’impression que leur discours contenait le monde, qu’il était capable de créer le désir ou la rencontre. Ce qui bascule dans Les Comédies et Proverbes, c’est que ce sont les femmes qui y expriment leur rapport au monde et qui l’expriment très différemment. Par une forme d’hystérie peut-être mais pas par ce côté obsessionnel, voyeur et renfermé sur soi-même. De ce fait, je suis moins sensible à ce côté théorème un peu ferme des Contes moraux, à cette volonté d’appréhender le monde par le discours de laquelle va peut à peu se dégager son cinéma. Cela dit j’adore Ma nuit chez Maude (1969) qui est peut-être le chef-d’œuvre de Rohmer.
Le personnage des Nuits de la pleine lune, incarné par cette icône des années 80 qu’était Pascale Ogier, est lui parfaitement identifié à l’époque. Rohmer nous le montre vraiment comme une jeune fille moderne, avec toutes ses illusions, ses utopies, son rêve de pouvoir vivre avec un homme et à la fois de conserver son indépendance. Plus que jamais, l’ironie de Rohmer est considérable mais très diffuse, extrêmement difficile à débusquer. On ne sait pas bien quel regard moral il porte sur ce libertinage et ces programmes amoureux un peu dérisoires. C’est d’ailleurs à cette époque que je me suis mis à aimer Rohmer. Dans les années 80, il n’y avait en France que deux cinéastes qui montraient des gens que j’avais l’impression de retrouver autour de moi, Pialat et lui. Dans ses films je retrouvais des gens tels que j’en côtoyais tous les jours, et en même temps, avec un certain décalage. Ce qui me fascinait aussi c’est que précisément ce regard de Rohmer sur ces jeunes gens qui dansent sur Elli & Jacno, je n’arrivais pas à en saisir la nature. Il était évident qui saisissait tout cela avec ironie, presque comme un homme du XIXème siècle, une sorte de Balzac qui observerait les jeunes noctambules des années 80, mais il m’aurait été très difficile de me le formuler comme ça. Encore plus que chez Renoir, on ne sait jamais d’où il nous regarde.
On pourrait se demander comment fait Rohmer en 1984 pour engendrer, avec un pied chez Balzac, l’autre chez Pascal, le film qui exprime le mieux les années 80, la couleur de l’époque, son atmosphère, mais aussi ses clichés. C’est très mystérieux de se demander comment cela se passe, comment il a pu fréquenter ce milieu. Cela tient sans doute à son rapport aux comédiens, qu’il dirige peu. Il les rencontre, il discute avec eux. Il leur demande d’apporter leurs propres vêtements, leurs goûts musicaux et littéraires… Il attend des autres qu’ils lui apportent des informations, des éléments qui lui manquent. Comment cela devient-il du Rohmer et de la création de manière quasi-magique ? C’est d’autant plus difficile à dire que certains films parmi les plus rohmériens sont presque entièrement improvisés, à l’image du Rayon Vert (1986) ».
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