Al Pacino s’affirme dans les années 70, plus encore que son compatriote Bob de Niro, comme le corps protéiforme et masochiste du pollar américain.
Vingt-cinquième anniversaire du Festival de Deauville, vingt-cinq ans de cinéma américain. Invité d’honneur de cette édition, le grand petit Al Pacino, acteur habité et vedette née de cette période, qui a pourtant construit sa carrière en parallèle des principaux courants hollywoodiens de ces vingt-cinq dernières années.
Appartenant à la deuxième génération de l’Actor’s Studio, le nerveux et introverti Al Pacino est une figure de l’armada italo-américaine issue des universités, de la cinéphilie et de l’écurie Corman, qui a donné un coup de booster à la créativité du cinéma américain à partir des années 70 : Brian De Palma, Martin Scorsese, Francis Ford Coppola.
En parallèle, les condisciples de ces cinéastes formés par la culture européenne vont envahir et bientôt prendre d’assaut Hollywood : George Lucas, Steven Spielberg et leurs émules, Joe Dante, Robert Zemeckis, John Landis. Avec eux, la série B d’antan, les films de genre dédaignés (fantastique, SF) vont non seulement reprendre du poil de la bête, mais devenir la nouvelle norme du cinéma grand public américain, grâce à une inflation des budgets et surtout une recrudescence des effets spéciaux, devenus les nouvelles stars d’Hollywood : Star wars (77), Les Dents de la mer (75), Rencontres du troisième type (77) et plus tard E.T. (82).
Pendant que les judéo-wasp ont la tête dans les étoiles, les Ritals vont au charbon. Ils plongent dans le fracas de la vie urbaine, trustant le film de gangsters et les récits d’ascension sociale. Coppola, avec sa saga rétro du Parrain (72-74), donne ses lettres de noblesse à la Mafia et invente le polar opératique. Al Pacino est de la fête, qui s’affirme à l’époque, encore plus que son compatriote et rival Bob De Niro (icône de Taxi driver, 76), comme le corps protéiforme et masochiste du polar américain : Un Après-midi de chien (75), Le Parrain 1 et 2, Cruising (80), Serpico (73). De son côté, l’hitchcocko-italo-américain De Palma fantasme sur les symboles menstruels dans Carrie (76), où John Travolta pointe le bout de son nez, avant de devenir le Fred Astaire du disco et d’attraper La Fièvre du samedi soir (77).
Rital-prolétariat toujours quand Sylvester Stallone relance le film de boxe avec Rocky (76) un genre auquel Scorsese redonnera toute sa splendeur avec Raging Bull en 80. Quant à l’outsider plus classique Michael Cimino, il voyage au bout de l’enfer de la roulette russe dans le premier grand Vietnam-film (78), suivi par la déflagration psychédélique d’Apocalypse now de Coppola (79).
Les années 80, avec leur cortège de yuppies et d’affairistes cocaïnés, verront débarquer à Hollywood un contingent britannique issu de la pub qui lancera une OPA sur la disco-fever et la dance-music avec Flashdance (Adrian Lyne, 83) ou Fame (Alan Parker, 80) et ajoutera une couche de noirceur aux SF ripolinées à Hollywood (Alien et Blade runner de Ridley Scott), avant de sombrer dans les affres du SM chicos (9 semaines 1/2 d’Adrian Lyne, 86).
Pendant ce temps, Al Pacino perd un peu de sa hargne pour se disperser dans des emplois passe-partout. Exception de poids : sa prestation hallucinée dans le remake de Scarface (83), première rencontre avec De Palma, où il catapulte au-delà du réel la folie inaugurée par Paul Muni dans l’original de Hawks. Shakespearien. La fin de la décennie est plus diverse et prolifique avec l’avènement du rap et de la culture black (Do the right thing, 89), la renaissance du film d’action pure (Le Piège de cristal, 88) et, surtout, l’arrivée du boy-wonder gothique, Tim Burton, qui, avec sa vision glauque du mythe de Batman (89), renvoie Spielberg et Lucas à leurs petits Mickey.
Abordant la fatidique cinquantaine en 1990, Pacino retrouve le panthéon du polar, suite à la fulgurante renaissance du genre via Hong-Kong et les séries télé. Al redémarre avec un film noir gueule de bois, Sea of love (89), puis reprend le collier pour la
suite et fin des aventures de Michael Corleone (Le Parrain 3, 90). Il joue à ravir le gangster has-been dans l’élégiaque L’Impasse (93) de De Palma, et rencontre enfin pour une seule scène son frère ennemi dans le musclé et maniéré Heat (95), succédané des rodomontades violentes du brillant sale gosse de la junk generation, Quentin Tarantino (Reservoir dogs, Pulp fiction), qui ouvre la voie à l’invasion des pyrotechniciens de Hong-Kong (John Woo en tête).
Scorsese, lui, approfondit son exploration du genre en compagnie de De Niro avec Les Affranchis (90) et le grandiose point d’orgue de Casino (95). Par ailleurs, le cavalier solitaire Clint Eastwood achève le western en beauté (Impitoyable, 92), papy Spielberg se rachète une conduite (et son premier Oscar) en tournant en noir et blanc l’édifiante saga anti-nazie de Schindler (93), et le cinéma tout-numérique fait son apparition (Toy story, 95).
Pendant ce temps, Al Pacino concilie ses premières amours (le théâtre) et le cinéma en réalisant son premier film, le ludique et intelligent Looking for Richard (96), sous l’égide de son saint patron, William Shakespeare. Acta est fabula.
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