Le réalisateur, disciple de Shigehiko Hasumi, est mort le 21 mars 2022 après avoir réalisé une quinzaine de longs métrages.
C’est peu dire qu’on a été stupéfaits et vraiment attristés d’apprendre la nouvelle de la disparition de Shinji Aoyama, à l’âge de 57 ans. Comme ses camarades Kiyoshi Kurosawa ou Nobuhiro Suwa, Aoyama appartenait à une génération de cinéastes japonais qui a émergé dans les années 1990. Une génération de renaissance, née après la grande crise du cinéma japonais des années 1980. Comme Kurosawa encore, Aoyama avait été l’élève du grand professeur Shigehiko Hasumi, personnage considérable au Japon, auteur, entre autres, d’un essai important sur Ozu et véritable maître à penser en cinéphilie de cette décennie. Grand connaisseur du cinéma moderne européen mais aussi amateur des films de Tony Scott, Shinji Aoyama avait su dépasser le strict cadre de la cinéphilie pour inventer un écosystème qui lui était propre et qui culmine dans ses deux plus beaux films, Eureka (2000) et Eli, Eli, lema sabachthani (2005).
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Après avoir été l’assistant de Daniel Schmid (LeVisage écrit) ou de Kiyoshi Kurosawa, c’est au milieu des années 1990 que Shinji Aoyama réalise son premier long métrage. Helpless, vrai faux polar et authentique film indépendant le fait remarquer dans les festivals d’Europe et d’ailleurs. Fait suite une série de films qui, pour certains d’entre eux (An Obsession et Shady Grove), poursuivent un travail de décapage du film de yakuzas, accompli, à la même époque sur un mode plus radical par Takeshi Kitano. Mais c’est, à l’orée des années 2000, qu’il trouve une véritable reconnaissance internationale avec Eureka, longue déflagration de plus de 3 heures 30, sélectionné en compétition au festival de Cannes où il remporte le Prix de la Critique Internationale. Eureka, c’est le film-manifeste d’Aoyama, un film d’après la catastrophe. Un chauffeur de bus et deux enfants perdus embarquent dans un long voyage horizontal en forme d’odyssée spectrale qui est, en même temps, un acheminement vers la mémoire et la parole. Une œuvre splendide et vraiment importante.
Après ce coup de maître, salué par les critiques du monde entier, on aurait pu imaginer que la reconnaissance internationale de Shinji Aoyama allait naturellement croître au fil des années. Il n’en a rien été. La faute à Desert Moon, film qui suit Eureka, lui aussi sélectionné à Cannes en 2001. Un film nettement moins séduisant qui sera accueilli avec une certaine indifférence, si ce n’est un rejet. Dès lors, la carrière d’Aoyama va suivre son cours, mais avec une moindre visibilité internationale. En 2005, il réalise pourtant un autre film impressionnant, Eli, Eli, Lema Sabachthani? où il imagine un virus d’un genre particulier, le syndrome du Lemming qui pousse ceux qui l’attrapent au suicide. Aoyama y affirme son goût pour le dérèglement, y compris au niveau du montage, en même temps qu’une attraction fatale pour la musique, puisque les héros du film, qui vivent dans un bord de mer désertique, sont deux expérimentateurs sonores, entre noise et musique concrète, capables d’éradiquer le virus par le seul pouvoir de leurs improvisations musicales. Une proximité avec le monde de la musique déjà sensible dans Eureka, dont le titre fait référence à un album de Jim O’Rourke, paru juste avant.
Monde d’après
La dernière partie de la trajectoire d’Aoyama sera plus confidentielle mais aussi plus urbaine. Dans Tokyo Park (2011), par exemple, il imagine un curieux chassé-croisé autour d’un photographe transformé en détective-espion. Si la forme est, en apparence, plus classique, Aoyama parvient malgré tout à créer un récit flottant et mélancolique marqué par un sens de l’espace et de l’abstraction toujours aussi aigu. Un sens de l’espace que l’on retrouve dans ce qui sera, malheureusement, son dernier film, Living in your Sky (2020). Le cinéaste y suit une jeune femme, en deuil de ses deux parents, installée dans un grand appartement qui offre une vue imprenable sur Tokyo. Tout se joue dans cet appartement qui apparaît comme une sorte de désert intérieur, en lien avec les états psychiques du personnage. C’est, à un niveau toujours plus intime, encore un film d’après la catastrophe, une exploration du monde d’après, qui se rattache, à sa façon, à sa veine plus expérimentale des années 2000.
Avec Shinji Aoyama, disparaît un cinéaste dont l’œuvre, finalement assez secrète, reste à (re)découvrir. Une œuvre composite, aux contours changeants, difficile à appréhender dans son ensemble, mais qui laissera, malgré tout, une trace persistante, celle d’un cinéaste qui n’a jamais renoncé, malgré les difficultés de production, à son désir insatiable de cinéma.
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