Mort le 7 octobre aux États-Unis à l’âge de 77 ans, Terence Davies laisse derrière lui œuvre comptant une dizaine de longs métrages. Il était une figure importante du cinéma britannique.
Tout commence dans une cour d’école. Même si à première vue, on pourrait presque hésiter devant ces plans en noir et blanc : s’agit-il d’une usine, ou bien d’une prison ? Des petites brutes s’en prennent au plus frêle de leurs camarades : “C’est qui la tapette alors ?” Le titre apparaît : “Children”. Il s’agit de l’ouverture du premier moyen métrage réalisé par Terence Davies, qui finira par former The Terence Davies Trilogy, aux côtés de Madonna and Child (1980) et Death and Transfiguration (1983).
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Jeunesse à Liverpool
À l’origine de ces images, le souvenir d’un traumatisme. La part la plus passionnante du cinéma de Davies sera autobiographique, puisant dans une jeunesse passée dans le milieu ouvrier de Liverpool. La violence exercée par ses camarades, ses professeurs autoritaires ou son père instable… le cinéaste n’élude rien et rend compte de manière saisissante l’impossible expression individuelle ressentie par un enfant qui comprend progressivement son homosexualité. Après avoir quitté l’école à 16 ans, Davies devient comptable pendant plus de dix ans ; il mettra en scène cet ennui, ainsi que ses échappées nocturnes dans les toilettes publiques ou les bar gay dans le deuxième volet de sa trilogie.
Une mémoire en mouvement
La précision du regard porté sur ce milieu social peut bien sûr évoquer un autre grand cinéaste britannique, largement plus reconnu que Davies, Ken Loach. Mais chez Davies, un lyrisme diffus vient voiler les images d’une certaine mélancolie. Loin d’un naturalisme brut qui se rêverait “objectif”, les films de Davies suivent le cours d’une mémoire subjective. Toute la violence et la douleur se trouve régulièrement ponctué de courtes échappées lyriques, le temps d’un plan, qui porte avec lui le souvenir d’une épiphanie sensorielle.
Cette écriture poétique évoque le style littéraire d’un James Joyce : les fragments de mémoire se mêlent les uns aux autres et ainsi, les êtres et les choses portent en eux la vivacité du souvenir et la marque de la perte. Que ce soit dans sa trilogie ou dans Distant Voices, Still Lives (1988) et Une longue journée qui s’achève (1992), Terence Davies se plaît à mêler les temporalités : il rejoue son enfance et met en abyme les mécanismes de la mémoire dans une mise en scène inventive.
Ses deux premiers longs métrages lui font accéder à une reconnaissance internationale : Distant Voices remporte le Léopard d’or à Locarno ainsi que le Prix de la critique internationale à la Quinzaine des Réalisateurs. Une longue journée qui s’achève est quant à lui présenté au Festival de Cannes en Compétition. Cette part autobiographique de son œuvre se poursuit en 2008 avec le documentaire Of Time and the City, consacré à la ville de Liverpool.
“Être dans le passé me rassure”
Après Une longue journée qui s’achève, le cinéaste s’écarte toutefois du genre autobiographique. Si The Neon Bible et Chez les heureux du monde, respectivement adaptés des romans de John Kennedy Toole et Edith Wharton, se situent tous deux dans le passé, ils ne se déroulent plus dans le Liverpool natal de Davies. Cette prise de distance vis-à-vis de son sujet semble toutefois s’accompagner d’une forme de désinvestissement et ses derniers films se font nettement plus académiques.
Il s’attelle à explorer ce monde du passé dans The Deep Blue Sea (2012) avec Rachel Weisz et dans Sunset Song (2016), qui se déroule peu avant la Première Guerre mondiale, jusqu’à son biopic consacré à la poétesse Emily Dickinson et présenté à la Berlinale, Emily Dickinson, A Quiet Passion (2016). Le réalisateur disait lui-même au Guardian en 2022 : “Être dans le passé me rassure parce que je comprends ce monde.” Si Terence Davies a connu peu de succès public, il bénéficie d’une belle reconnaissance critique et figure parmi les grands cinéastes britanniques du XXe siècle.
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