Un homme au crépuscule de sa vie est hanté par les fantômes de l’amour. Vecchiali face à la douleur des sentiments.
Il y a quatre ans sortait le dernier film en date de Jean-Claude Brisseau, La Fille de nulle part, un home-movie où le réalisateur se calfeutrait chez lui, ruminant ses obsessions (le sexe, Hitchcock, la psychanalyse) en compagnie d’une jeune actrice (Virginie Legeay) qui venait épauler le vieil homme mélancolique hanté par des fantômes. Un film auquel fait fortement écho Le Cancre de Paul Vecchiali, quasi-huis clos où l’homme se met en scène. Il y incarne Rodolphe, un Dom Juan affaibli et ronchon qui songe à toutes les femmes qu’il a aimées. Dans sa maison traîne également son fils Laurent (Pascal Cervo), ange gardien encombrant et pourtant nécessaire, comme savent l’être les membres d’une famille. Là encore, comme chez Brisseau, chacun s’épaule dans le chagrin et la maladie, chacun vient contenir par sa seule présence les accès de mélancolie qui surgissent sans crier gare.
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Dans ce très beau duo, il y a un peu de Femmes, femmes (1974), et plus globalement on y retrouve cette sentimentalité toute vecchialienne. Cette façon de parler d’amour par les mots les plus simples, comme le ferait un enfant ou une chanson populaire. Cette façon dont la chair reste hantée par le souvenir d’un autre corps, d’un paradis perdu, à l’instar du bruit assourdissant des grillons que Rodolphe entend parfois. Et si le corps flanche (peut-être à cause de la maladie, surtout à cause des fantômes d’amour), la passion, elle, reste intacte, tellement brûlante qu’elle produit souvent chez Vecchiali une sorte de kitsch sentimental que rien n’apaise, surtout pas le temps.
Dans de drôles de flash-backs dont on ne sait à quel temps ils appartiennent, Rodolphe s’entretient avec toutes ses femmes, dont les actrices (Edith Scob, François Lebrun, Françoise Arnoul, Catherine Deneuve) chargent le film de toute leur filmographie passée, évidemment, mais aussi de la façon dont elles ont été aimées dans d’autres films (La Maman et la Putain, French Cancan, Les Parapluies de Cherbourg…). Et si les passions se succèdent, l’homme à femmes aimerait faire comprendre qu’il les a “toutes aimées de la même façon”.
C’est ici, peut-être, une façon que trouve le Dom Juan/Vecchiali de régler ses comptes, de donner sa définition de sa vie amoureuse et plus largement de la sentimentalité qui innerve son cinéma. On soupçonne Rodolphe d’être un intarissable hédoniste, or c’est un sentimental, qui comme tous les personnages vecchialiens ne peut s’éprouver que dans une douleur amoureuse dont il fait malencontreusement don à tous les êtres qu’il a aimés.
Le Cancre de Paul Vecchiali (Fr., 2015, 1 h 56)
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