Adaptée d’un fait divers génial, l’histoire d’un adulte qui usurpe l’identité d’enfants disparus. Inégal mais troublant.
Pour son cinquième long métrage, Jean-Paul Salomé a mis la main sur un fait divers en or. On se souvient de ce jeune Nanterrois, Frédéric Boutin, condamné plusieurs fois pour avoir usurpé l’identité d’adolescents réels ou fictifs dans les années 1990 et 2000.
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Le Caméléon s’inspire d’un épisode en particulier, lorsque l’imposteur, alors âgé de 30 ans, se fit passer pour un enfant disparu en 1996 aux Etats-Unis, jouant l’ado ressuscité d’entre les limbes quatre ans plus tard.
Le réalisateur du polar néogothique Belphégor ou de la fresque ultraconsensuelle Les Femmes de l’ombre change ici radicalement d’univers – flairant dans ce cas d’imposture US la possibilité de larguer les amarres, tout en se mesurant à une formidable matière de cinéma.
La déterritorialisation est d’ailleurs ce qui réussit à Salomé : la greffe d’un “œil barbare” dans une modeste banlieue américaine a même plutôt de la gueule. Pour un peu, on croirait que le cinéaste a passé son enfance dans un de ces bungalows délabrés, ces ersatz de jardins où fument de pauvres barbecues sous le grésillement d’une radio locale.
C’est là que crèche la famille qui voit soudain réapparaître son dernier rejeton, quatre ans après sa volatilisation dans la nature. Hélas, les festivités tournent court : au lieu de tomber dans une famille de sitcom, le héros (Marc- André Grondin, acteur montant de l’Hexagone, vraiment cool sous sa casquette de base-ball) doit faire face à une mère déchirée 24 heures sur 24 (hallucinante Ellen Barkin) qui lui aboie dessus plus qu’elle ne parle. Viennent une sœur adorable mais par trop poupée, et un grand frère carrément menaçant, numéro un au concours des buveurs de Jack Daniel’s.
En résumé, trois personnages emblématiques d’une Amérique white trash que Salomé filme avec un bel aplomb. On ne tarde pas à découvrir que ce séjour en enfer n’est pas sans raison. Car à l’époque, le délit d’usurpation se double d’une affaire de crime non élucidé : cette famille du malheur aurait tout simplement noyé le mystérieux enfant, loin de penser qu’il se réincarnerait sous les traits d’un charmant usurpateur atteint du syndrome de Peter Pan.
Pris à rebours, le récit se teinte d’une noirceur supplémentaire, pour devenir vraiment glaçant – des faux sourires aux crises de panique déguisées en comédie du bonheur.
Salomé fait de ce renversement de situation le nœud de son récit, fasciné par ce tour de manivelle mankiewiczien qui transforme le manipulateur en manipulé, la victime en bourreau.
Entièrement, et plutôt efficacement, absorbé par cette inversion des forces, le film délaisse en revanche son sujet initial : le trouble de l’identité ou trouble de la personnalité multiple, thème sublime revenu hanter le cinéma des années 2000.
Salomé ne s’y confronte pas vraiment et finit par l’évacuer dans un plan final où notre imposteur incarcéré justifie tout par son besoin d’être aimé. Une petite fin pour ce film à fantasmes fort et angoissant.
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