Le parcours haletant d’un braqueur énigmatique. Encore une belle surprise venue du jeune cinéma allemand.
La “nouvelle vague” du cinéma allemand ne faiblit décidément pas. Alors que les Christian Petzold, Christoph Hochhäusler ou Angela Schanelec enchaînent les bons films, voici le moins connu (du moins en France) Benjamin Heisenberg et son superbe Braqueur, repéré à la dernière Berlinale, où il était aisément l’un des deux ou trois meilleurs films de la compétition officielle.
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Le braqueur, c’est un certain Johann Rettenberger (impeccable Andreas Lust), trentenaire sec et osseux, visage de sphinx, allure de quidam ordinaire – le genre de type que l’on ne remarquerait absolument pas au milieu d’un groupe.
Et pourtant, Rettenberger possède un certain nombre de particularités sortant de l’ordinaire. D’abord, comme le suggère le titre, il braque des banques. Oui, des banques, pas simplement une. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de faire un coup puis de se tirer avec le fric sous les cocotiers d’un quelconque paradis fiscal ou judiciaire, comme dans les films de braquage habituels.
Non, le hold-up bancaire semble pour Rettenberger une activité nécessaire à son équilibre, une addiction, un défi existentiel, un exercice sportif. D’ailleurs, deuxième particularité de notre homme, il est également champion de marathon. Il s’entraîne régulièrement, participe à des courses, qu’il gagne.
Il y a évidemment un lien étrange mais fort entre les deux disciplines pratiquées par Rettenberger. Les deux sont pourvoyeuses d’adrénaline, suscitent un esprit de compétition avec les autres, mais peut-être encore plus avec soi-même. On ne sait trop en quoi les braquages aident le coureur, mais on voit bien comment la course d’endurance est utile au braqueur, en lui garantissant vitesse, agilité, résistance physique.
Le braqueur-coureur a aussi une vie, il fréquente une jeune femme, qui ignore tout de ses activités dans le secteur financier. Mais, et c’est une autre singularité du personnage, Rettenberger semble privé d’affect, indifférent à tout. A la fois absent au monde et d’une présence hyperconcentrée au moment des courses ou des braquages, Rettenberger est un paradoxe fait homme, oscillant entre les deux pôles de la représentation cinématographique des corps humains, l’incarnation et le spectre.
A côté de sa forte teneur théorique et de sa portée métaphysique, voire de sa dimension politique (à l’heure où les banques sont à juste titre pointées du doigt comme principales responsables et bénéficiaires de la crise, ce braqueur s’en prend finalement aux plus grands voleurs de notre époque), Le Braqueur est aussi un film d’action jouissif, digne des meilleurs représentants américains ou asiatiques du genre. Les séquences de hold-up sont mises en scène avec une précision, une netteté et une dimension physique admirables.
Quant à la longue et haletante fuite finale (une quinzaine de minutes dont on ne dévoilera pas l’issue), c’est l’un des plus purs moments de cinéma et de mise en scène que l’on ait vus de mémoire récente. Pas de dialogue, pas de graisse, que des plans, du mouvement, du montage, de la géométrie, de la sculpture de temps et d’espace : Bresson, Melville, Johnnie To sont les référents qui viennent à l’esprit.
“Mouvement” est sans doute le mot-clé résumant Rettenberger. Incapable de se poser, de se fixer une place dans la société, c’est un homme d’action au sens le plus concret et le plus immédiat, un corps en mouvement perpétuel dont le centre existentiel est la marge, la fuite. “Born to run” pourrait être sa devise, sa morale.
Si Heisenberg se montre magnifique rythmicien et géomètre, il n’explicite jamais les motivations de son héros. Cette opacité avait gêné la critique US à Berlin : elle aimait le film tout en regrettant son absence d’éclaircissements.
En effet, hormis ses actes, son pur présent, on ne sait pas grand-chose de Rettenberger, de son milieu familial, de son enfance, des raisons qui l’ont fait basculer. Mais ce mystère du braqueur, laissant le champ totalement ouvert à la réflexion des spectateurs, participe évidemment de la beauté laconique de ce film impressionnant de rigueur et de cohérence.
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