La réalisatrice marocaine livre un conte contemporain sur l’attachement, la maladie et la liberté.
Au Maroc, le caftan (cette tunique ample et longue portée depuis des millénaires dans de nombreux pays, à peu près du Maghreb à la Perse) a une spécificité : il n’est porté que par les femmes.
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Halim (Saleh Bakri, tout en intériorité), le personnage principal, est tailleur et couturier dans la médina de Salé, l’une des quatre grandes villes du caftan marocain : il conçoit, coupe et réalise notamment des caftans, en tentant de respecter les règles de ses prédécesseurs, dont lui-même reconnaît que le savoir a été en partie perdu. Halim est marié avec Mina (déjà admirable dans Adam, le beau premier film de Maryam Tazouni), qui tient la boutique, les comptes, les commandes, mais qui souffre d’une “longue et pénible maladie”…
Au début du film, un caftan bleu dans la grande tradition est commandé à Halim. Tâche prenante qui demande temps, patience, rigueur. Un jeune apprenti est embauché pour seconder Halim. Or, Halim est homosexuel, secret qu’il partage depuis toujours avec Mina, avec laquelle il vit une belle complicité parfois amère. Régulièrement, il se rend dans un hammam où tout est organisé pour que les hommes puissent vivre leur sexualité, cachés du reste du monde et de la société. Le film décrit aussi un pays où les rues ne sont pas sûres, constamment surveillées par des patrouilles de police inquiétantes.
L’artisane de l’amour naissant
Halim refuse tout d’abord d’assumer son attirance grandissante et réciproque pour son apprenti. Mina sombre de plus en plus dans la maladie. Un peu comme dans “La Peau de chagrin” de Balzac, plus le caftan avance, plus Mina dépérit. Mais cette femme forte, qui est loin d’être une idiote, va peu à peu devenir l’artisane de l’amour naissant entre les deux hommes, l’auteure du nœud qui va permettre leur liaison après sa mort qui approche. Comme si de sa mort devait naître autre chose… On pense aussi à cette phrase célèbre de Shakespeare dans La Tempête : “Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil.”
La métaphore est facile, mais elle est inévitable, tant elle semble être au cœur même, le point le plus élevé de la cohérence et de la fabrication du film, de son tissu narratif en forme de conte contemporain : son récit, tel un caftan, est un travail d’artisan de haute valeur, qui tisse plusieurs intrigues ensemble, rehaussées par une image aux couleurs chaudes, pour aboutir à une conclusion qui unit de manière inextricable tous ses fils (amoureux, sexuel, politiques), pour nous offrir à nous et à Mina le plus beau des vêtements.
Le Bleu du caftan de Maryam Touzani, avec Lubna Azabal, Saleh Bakri, Ayoub Missioui. En salle le 22 mars 2023.
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