Où est le billet de mon amie ? Caméra d’or au dernier Festival de Cannes, Le Ballon blanc de Jafar Panahi est la dernière bonne nouvelle cinématographique venue d’Iran. Une fable dépouillée, attentive à ses personnages, au-dessus de laquelle plane l’ombre tutélaire de Kiarostami. Le cinéma iranien et le minimalisme sont décidément deux très bons […]
Où est le billet de mon amie ? Caméra d’or au dernier Festival de Cannes, Le Ballon blanc de Jafar Panahi est la dernière bonne nouvelle cinématographique venue d’Iran. Une fable dépouillée, attentive à ses personnages, au-dessus de laquelle plane l’ombre tutélaire de Kiarostami.
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Le cinéma iranien et le minimalisme sont décidément deux très bons amis. Dans cette sorte de surenchère filmique permanente, le principe un rien cliché du « small is beautiful » trouve des colorations inédites.
Ebrahim Forouzesh (La Clé, La Jarre) s’appuie systématiquement sur des objets de rien pour bâtir des fictions morales et pédagogiques où les gosses ont le beau rôle. Mohsen Makhmalbaf, on le sait depuis mai dernier et Salam cinéma, ne s’embarrasse guère de points de départ riches en calories. L’immense Abbas Kiarostami a de tout temps emballé ses fictions poupées russes dans des scripts à armature légère. Quant à Jafar Panahi, le nouveau venu sur nos écrans nationaux, son cinéma s’inscrit naturellement dans cette lignée du dépouillement à caractère documentaire. Le Ballon blanc, son premier long métrage justement récompensé du prix de la Caméra d’or au dernier Festival de Cannes, réactive un principe de base qu’il n’est jamais mauvais de rappeler : les meilleurs films ne sont pas nécessairement ceux conçus dans les plats les plus ostentatoirement signifiants. Panahi éclaire quelque peu nos lanternes concernant cet air de parenté qui flotte sur les films iraniens : « Les grands films racontent souvent des grandes histoires avec des grands thèmes. Nous, ça nous a donné envie de faire des films avec des petits trucs et de dire que l’on pouvait faire aussi de bonnes choses de cette manière. Depuis, entre nous, il y a une sorte de compétition… » Ce « nous » correctement vindicatif est tout sauf indifférent. Confirmation ultime que, autour du gourou Kiarostami, se fédère une bande de cinéastes qui partagent grosso modo les mêmes préoccupations et se lancent des défis du genre « plus petit est l’argument de départ, meilleur le film sera ». A ce train-là, on pourra peut-être bientôt vibrer sur Les Aventures d’un dé à coudre ou La Biographie d’une épuisette. En attendant, Le Ballon blanc raconte comme il se doit une histoire on ne peut plus ténue. L’aventure ultra-banale d’une gamine qui désire ardemment un poisson rouge pour Noël, tanne sa mère pour obtenir quelques deniers et, une fois sa demande exaucée, cavale chez le marchand. Mais, hélas, elle perd le billet de banque en route. La recherche du billet maudit constitue l’insoutenable suspense du film ; la rencontre avec des passants ou des commerçants plus ou moins compatissants, son impeccable toile de fond. Voilà. Pourtant, il ne faudrait pas s’en tenir aux maigrelettes apparences de cet argument de départ. Le Ballon blanc est en effet un petit bijou réalistico-humoristique. A la fois ironique et scrupuleusement amoureux de ses personnages. Hymne à l’obstination (y voir une métaphore plus généralement politique n’est pas interdit, même si Panahi demeure discret sur les questions de censure), modèle de construction efficace (arrivera-t-elle ou non à récupérer son fichu billet ?), le film est aussi une fable morale (responsabilité, culpabilité et tutti quanti) où traînent quelques-uns des thèmes favoris de Kiarostami, ce qui est fort logique puisque ce dernier a collaboré à l’écriture du scénario.
« A l’origine, mon film devait durer environ quarante-cinq minutes, mais Kiarostami m’a poussé à réaliser un long métrage et m’a aidé à trouver la production. L’écriture avec Kiarostami ? Il n’y en a pas. Ce ne sont pas ses habitudes de travail. Ce sont plutôt de libres conversations entre nous que j’enregistre au magnétophone puis que je retranscris sur papier. » Vu leur étroite collaboration sur ce film, nul étonnement à retrouver chez Panahi certains traits formels kiarostamiens. Les deux hommes se connaissent d’ailleurs depuis longtemps, Jafar ayant été premier assistant sur Au travers des oliviers. Pourtant, point de pastiche ou de servile imitation du maître perse ; Panahi fait preuve de qualités de cinéaste qui n’appartiennent qu’à lui. Une certaine manière de construire un conte initiatique qui butine en chemin et observe minutieusement la vie d’un pâté de maisons, avec son marchand de ballons, son charmeur de serpents, son petit peuple qui s’active. Un goût pour la précision maniaque et l’idée obsessionnelle suivie jusqu’à son terme. Caractéristique stylistique qui correspond finalement au comportement délicieusement buté de sa mini-héroïne.
La pratique de Jafar Panahi repose sur une architecture théorique en béton armé, des idées très précises sur le cinéma. Mais, preuve du talent du bonhomme, elles ne transforment jamais le film en pensum indigeste. Le cinéaste a beau évoquer spontanément André Bazin, le néoréalisme, le jeu sur les limites du cadre, le montage à l’intérieur du plan et l’importance essentielle du hors-champ, son film coule de source. Limpide, évident, simple : un pur bonheur de cinéma démocratique. Servi par une direction d’acteurs absolument stupéfiante. « Ce n’est pas possible de suivre scrupuleusement un scénario sur ce genre de film. Les non-professionnels et les enfants imposent de transformer quotidiennement les choses. En fait, la partie avant le tournage, le choix des acteurs, est une phase essentielle. C’est simple : il faut aller là où l’on sait que l’on peut trouver des gens. Le tailleur du film est un vrai tailleur. Le marchand de poisson ou le charmeur de serpents, idem. Quand vous travaillez avec un acteur professionnel, il va aller chercher l’inspiration dans le scénario. Il va composer. Là, le tailleur joue ce qu’il vit. Mon film raconte l’histoire d’une fille obstinée. L’idée de filmer quelqu’un qui a une idée fixe et qui veut réussir me plaisait. J’ai trouvé rapidement l’interprète pour ce rôle. Dans son regard, j’ai tout de suite reconnu la volonté et l’obstination du personnage. Alors que pour le garçon, j’ai quand même auditionné 2 600 gamins… » Mais, à l’instar de ses collègues, Panahi ne se satisfait pas du rendu documentaire soi-disant objectif. Son art consiste à radiographier la réalité brute pour réorganiser un univers microscopique où le spectateur est constamment questionné et turlupiné par ce qu’il voit. Y compris concernant la morale éventuelle de la fiction. « C’est au spectateur de la découvrir à l’intérieur de lui-même. J’ai tout fait pour que le spectateur épouse la perception de l’enfant, son regard. On essaye avec elle de trouver une solution à son problème. » Ce qui implique un découpage que l’on devine mûrement réfléchi (et, comme chez Kiarostami, une certaine idée de la manipulation), qui se conjugue ensuite avec un travail spécifique sur le tournage. Qui ne repose nullement sur l’improvisation, mais sur la capacité de provoquer puis de préserver la spontanéité des acteurs auxquels Panahi ne donne bien entendu jamais le scénario à lire. « Là encore, la préparation est essentielle. Il doit y avoir une équipe réduite : ni maquilleur ni décorateur. L’enfant doit pouvoir se concentrer sur son travail. De même, je n’utilise pas de clap pour le début ou la fin des séquences. Parfois, je filme pendant les répétitions, sans que les acteurs s’en aperçoivent. Il faut déployer toutes sortes de ruses… La meilleure prise est toujours la première. A la seconde, les acteurs sont plus conscients de ce qu’ils font. »
Comme tous les cinéastes dignes de ce nom, c’est l’attention aux formes qui taraude Panahi. Peu loquace quand il s’agit d’explications psychologisantes, il est en revanche du genre tout à fait prolixe quand le bavardage tournicote autour de la technique. Simplement parce que c’est par là par une pratique singulière qui agence des formes que s’exprime sa vision du monde. Dans Le Ballon blanc, avec son histoire énervante d’une gamine qui ne cesse d’aller regarder là où il lui est normalement interdit de jeter un œil, Jafar Panahi délivre une fable subtile et ludique qui est aussi une belle métaphore de son cinéma. Ou comment une certaine éthique du regard éveille nécessairement la curiosité.
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