La comédienne revient au cinéma en réalisant une comédie
conceptuelle, drôle et tendre, sur l’inquiétude. Une vraie réussite.
Comme son titre circassien et mystérieux l’indique, le premier film de Laure Marsac est, formellement, un “quadriptyque” dont le quatrième pan ne serait visible que si l’on a regardé les trois premiers – ou un triptyque qui suggérerait un quatrième panneau qui n’existe que virtuellement. Ça peut paraître prétentieux, ça ne l’est pas du tout : le film demeure toujours dans le quotidien, le trivial, le Dasein. La première partie raconte comment le personnage principal, Louise Coleman (une jeune femme très blonde à très jolies jambes, qui le sait, et qui aime aussi le rouge – interprétée par la réalisatrice), prend des cours de conduite automobile, sans doute pour acquérir une indépendance au sein de son couple, de sa famille, avoir l’impression d’être adulte enfin… et aussi parce que la pression sociale, quoi. Louise Coleman est fragile, pas tout à fait adaptée dans ce monde (qui l’est ?), mais elle fait des efforts.
Dans la deuxième partie, Louise se retrouve coincée dans un immense centre commercial isolé de tout comme on en trouve partout en France, car elle ne peut plus rentrer dans sa voiture. Du quotidien, du plausible, du vraisemblable, encore. Puis la troisième partie est une réminiscence : Louise, enfant, voyage à l’arrière de la voiture que conduit sa mère sur une autoroute. Le trajet est long, interminable, comme tous les voyages en voiture (pas seulement pour les enfants). On croit que le film va virer au cauchemar, comme dans A ma soeur ! de Catherine Breillat, mais non, on se retrouve tout simplement dans sa propre enfance. Quel est le sens de tout cela, se demande-t-on à chaque étape du récit.
C’est là que le film est admirable, dans sa qualité d’écriture (cinématographique, j’entends) : il fait constamment semblant d’être sur le point d’avancer des explications (psychologiques par exemple), de nous dire pourquoi Louise est comme elle est – parce qu’un accident ou un traumatisme dans l’enfance l’expliquerait, etc. –, mais il ne nous donne jamais
ces raisons, il ne se passe jamais rien, tous les obstacles s’effacent les uns après les autres devant Louise, la vie lui sourit, mais l’inquiétude demeure. Il n’y a pas de raison à ce que Louise soit inquiète, ou plutôt, rien n’est plus inquiétant peut-être que l’absence de raisons à ces choses, et c’est sans doute pourquoi Louise est comme elle est, et le film si touchant, proche, affectueux.
Inquiétante étrangeté ou inquiétude étrange, banale et diffuse angoisse, nous en sommes là. Laure Marsac, qu’on connaissait et aimait comme comédienne (chez Doillon, Rohmer, Rivette, Neil Jordan, Maroun Bagdadi), semblait avoir disparu définitivement du grand écran. Mais on ne l’avait jamais oubliée – comment aurait-on pu ? Elle revient avec un premier film réussi, pour ses choix esthétiques, sa distribution impeccable (Denis Podalydès, en moniteur d’auto-école, est hurlant de vérité), son humour singulier, son bon goût musical (The Divine Comedy), sa mélancolie légère. Tout juste si l’on peut lui reprocher une deuxième partie un peu trop symbolique et bavarde. Mais la troisième et dernière est si sublime de bout en bout du point de vue de la mise en scène qu’on lui pardonne un moment de faiblesse. On attend son prochain film avec impatience.