A l’affiche de « Papa ou maman », Laurent Lafitte nous parle de son goût pour l’humour noir, de “Classe mannequin” et de son prochain film avec Verhoeven.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans le projet Papa ou maman ?
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Laurent Laffite – Le pitch. J’adorais cette histoire d’un couple divorcé qui se bat pour ne pas avoir la garde des enfants. Mais le scénario de départ n’était pas à la hauteur, il ressemblait plus à une succession de sketches. Avec les scénaristes et Marina Foïs, on a participé à la réécriture, en rejouant le script en impro, en pointant ce qui n’était pas assez audacieux ou pas assez précis. J’étais aussi rassuré par le fait que le réalisateur, Martin Bourboulon, avait un vrai point de vue, ce qui est rare pour un film de commande. Il voulait faire une comédie romantique déguisée, une histoire de reconquête qui passe par le combat. La force du film est sa cruauté à l’égard de la famille.
Depuis votre premier one-man show, Comme son nom l’indique, vous creusez cette forme d’humour bizarre, presque méchant…
C’est ce qui m’attire. J’adore les trucs qui mettent mal à l’aise, qui s’aventurent sur des terrains interdits. Le film est cruel en effet, mais jamais vraiment contre les mômes sinon ça ne serait plus drôle.
D’où vient ce goût de l’humour noir ?
J’ai grandi avec de Funès, qui avait déjà cette méchanceté dans le rire. Rien ne me faisait plus marrer que de le voir raciste, antisémite, ou très dur avec ses employés. Je le préférais à Pierre Richard, qui incarnait le type sympa, toujours du bon côté. La découverte du cinéma américain a aussi beaucoup compté. Eux sont très forts pour créer des situations embarrassantes, avec des types comme les frères Farrelly, Judd Apatow, Steve Carell. Et puis il y a Louis C. K., que j’adore. Je me reconnais dans son esprit, sa vision. Il a une liberté de ton dingue, mais sans jamais verser dans le cynisme. Même quand il dit les pires saloperies, il conserve une empathie, une bienveillance qui rend son humour digeste, acceptable.
On parle beaucoup de la liberté d’expression appliquée aux humoristes ces derniers temps, notamment avec le cas Dieudonné. C’est quoi, selon vous, la limite d’une bonne vanne ?
Qu’elle soit drôle, c’est tout. Quand Dieudonné fait décorer le négationniste Faurisson sur scène avec son assistant déguisé en déporté juif, je ne vois pas à quel moment ça peut être perçu comme drôle.
Quand on a une haute idée de l’humour comme vous, n’est-il pas trop dur de travailler dans le cinéma français, où les comédies – en tout cas celles dites populaires – sont assez souvent médiocres ?
Je ne peux pas dire ça, parce que ce serait prétentieux. Mais c’est vrai que les comédies françaises sont un peu trop gauloises pour moi. Il y a des succès, des triomphes populaires que je ne m’explique pas. Bon, j’arrive quand même à travailler, à rencontrer des gens qui ont une écriture qui me correspond.
On vous a vu l’année dernière dans une comédie populaire comme 16 ans ou presque et dans le film indé Tristesse Club. Avez-vous le désir de vous diriger davantage vers le cinéma d’auteur ?
En vieillissant, mes goûts s’affinent forcément. Je prends plus de plaisir aujourd’hui à travailler avec des auteurs qui ont une vision affirmée, un vrai désir artistique. Mais je n’ai pas de plan de carrière, même si ça peut sonner hypocrite. Disons que l’ambition de l’œuvre est plus motivante que celle de la carrière.
C’est-à-dire ? Vous aimeriez que l’on parle un jour de “Laurent Lafitte movie” ?
Non, je ne crois pas trop à cette idée de l’acteur-auteur. Un acteur est au service d’un auteur, il aide à mettre en images sa vision. Faire œuvre, à mon sens, ce serait plutôt installer un lien fort avec le public, comme ces acteurs qui font peu de films mais dont on se dit : “Tiens, si lui joue là-dedans, c’est qu’il faut aller le voir.” J’aimerais créer ce rapport de confiance avec les spectateurs, à la manière de Vincent Lindon. Un mec qui ne fait pas des films juste pour être dans l’actualité, mais pour des raisons pensées.
La cérémonie des César approche. Vous avez l’espoir d’être nommé un jour ?
Je n’en fais pas une ambition, mais ça me ferait marrer parce que j’en rêvais quand j’étais gosse. Et puis j’aime assez l’aspect Las Vegas, paillettes, un peu show-off du cinéma. C’est mon petit côté Liberace.
A qui attribueriez-vous le César du meilleur film de 2014 ?
Je n’ai pas eu le temps d’aller au cinéma l’année dernière. Je n’ai donc pas de vision très globale Là, je pense aux Combattants de Thomas Cailley avec Adèle Haenel, un premier long assez impressionnant.
Vous venez de commencer le tournage du film de Paul Verhoeven à Paris, Elle, avec Isabelle Huppert. Comment êtes-vous arrivé sur ce projet ?
Je sais que Verhoeven avait demandé à la production un DVD du film Elle l’adore (thriller de Jeanne Herry – ndlr). Il m’a appelé et j’ai passé des essais pour jouer le rôle d’un voisin d’Isabelle Huppert. Elle incarne une femme qui se fait violer et qui se lance à la recherche du coupable. C’est une adaptation d’un roman de Philippe Djian, Oh…, un scénario très sombre, sexuel, dérangeant. Très Verhoeven. Pour moi, c’est une chance parce que j’ai toujours aimé son cinéma, même Showgirls, qui n’a pas bonne réputation. Il fait des fausses séries B, des films qui n’annoncent pas trop la couleur, avec une audace et une noirceur fascinantes. Il a un rapport au sexe très européen mais noyé dans une esthétique hollywoodienne. On a l’impression de voir un loup dans une bergerie.
Vous avez fait partie du casting de Classe mannequin, animé la Nuit des Molières et joué dans Les Petits Mouchoirs de Guillaume Canet. Quelle a été l’expérience la plus traumatisante ?
Aucune n’a été traumatisante ! Bon, c’est vrai que Classe mannequin était assez pénible. A l’époque, il n’y avait presque pas de séries en France, à part des trucs nuls comme Hélène et les garçons. J’avais passé des essais et on m’avait dit “Tu vas voir, ce sera le Friends à la française !” Bah, j’ai rapidement vu que non, donc, au bout d’un an, j’ai arrêté.
Le plus dur est qu’au même moment, je découvrais plein de nouvelles choses, notamment dans le théâtre public. J’allais voir Hamlet mis en scène par Patrice Chéreau, En attendant Godot par Philippe Adrien… Un nouveau monde s’ouvrait à moi, j’étais en pleine révélation artistique et je me suis retrouvé face au résultat de ce “Friends à la française”… Mais c’est très bien finalement, puisque ça m’a donné un coup de pied au cul : j’ai décidé à cette époque de passer le concours du Conservatoire et de réorienter ma carrière. J’ai compris grâce à Classe mannequin que mon désir d’être acteur ne se résumait pas à un ego-trip.
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