Quand j’étais gamine, je voulais être vétérinaire. Pas très original. Après, j’ai voulu être courtisane : là, je commençais à me rapprocher du métier de comédienne ! Courtisane ? Il y a un âge, vers 14-15 ans, où on adore les amours malheureuses. J’avais lu Nana, Manon Lescaut. Voire des choses moins nobles. Au xixe […]
Quand j’étais gamine, je voulais être vétérinaire. Pas très original. Après, j’ai voulu être courtisane : là, je commençais à me rapprocher du métier de comédienne !
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Courtisane ?
Il y a un âge, vers 14-15 ans, où on adore les amours malheureuses. J’avais lu Nana, Manon Lescaut. Voire des choses moins nobles. Au xixe siècle, il y a eu beaucoup de récits de destins tragiques de courtisanes. Ma grand-mère avait une collection étonnante de très mauvais livres sur les princesses, les reines, ce genre de livres un peu crétins. J’ai donc eu une période comme ça, mais ça n’a pas duré, heureusement.
C’est vos premiers souvenirs de lecture ?
Non, mon père me lisait beaucoup de poèmes quand j’étais petite. Il remplaçait les prénoms par Marie pour ne pas que je m’ennuie. Mes premiers souvenirs de lecture sont donc à haute voix : des mots dits. Et bien dits. Ça m’a donné très tôt le goût des mots. Il me lisait des poèmes de Baudelaire, Desnos, Supervielle, Leiris, Prévert. Rien que des Français, mais je trouve que la poésie supporte mal la traduction. D’ailleurs plus tard, quand j’ai appris l’anglais, ça m’a redonné le goût de la langue française.
Et après, vous avez continué à beaucoup lire ?
Enormément entre 15 et 30 ans. Après, j’ai eu quelques enfants : c’est devenu plus difficile. Tout ce que je sais, je l’ai appris dans les livres. Et puis, découvrir Céline à 15 ans, c’est un tel choc ! Je me souviens de ses phrases suspendues qui pouvaient aussi bien me faire hurler de rire que trembler d’effroi. Je n’imaginais pas que l’écriture pouvait aller aussi loin. Quand on lit Cioran ou Nietzsche, on puise des choses, on a l’impression de grandir, d’apprendre, de gagner du temps. Sinon, j’ai lu énormément de journaux, de poésie. Quand je tourne, je ne peux lire que des formats courts, sans narration, parce que je ne peux pas me concentrer longtemps. Ou alors, je lis des bouts. Le Journal de Jules Renard est idéal pour ça : vous l’ouvrez au hasard, vous vous régalez, et puis vous refermez. Peut-être que je le connaîtrai quand je serai vieille, mais en attendant, j’ai l’impression de ne jamais en finir. D’ailleurs, Jules Renard dit lui-même : « Lire une page de ce livre, le poser, et ne plus jamais le rouvrir. » Sinon, dans les contemporains, je viens de me régaler avec Monsieur Vertigo de Paul Auster.
En tant que spectatrice, quelles sont vos grandes émotions de cinéma ?
D’abord le cinéma américain : Mankiewicz, Minnelli, Fritz Lang. Les grands metteurs en scène français, je les ai découverts beaucoup plus tard. J’étais gênée par le jeu des acteurs que je trouvais démodé. Bon, ça s’est arrangé avec la Nouvelle Vague, mais dans beaucoup de classiques français, il y a un phrasé qui me gêne. Dans le cinéma américain sans doute aussi, mais ce n’est pas la même langue, donc ça me choquait moins. Et puis j’ai l’impression que le jeu des acteurs américains était plus moderne. C’est ma mère, très cinéphile, qui m’a d’abord emmenée au cinéma avec elle. Et puis, c’est comme pour la lecture, un auteur amène à un autre. Et c’est comme ça que ça se construit, de fil en aiguille. Donc pour le cinéma, la base, c’est ma mère. Et pour les livres, c’est mon père. Mais aussi bien en livres qu’en films, il y a des choses qui ne passaient pas à une époque, et qui sont passées beaucoup plus tard.
Et récemment ?
Breaking the waves de Lars von Trier m’a fait beaucoup d’effet, y compris la scène finale avec les cloches, qui braque pas mal de monde. Ou encore La Ligne rouge de Terrence Malick.
La musique, c’est plutôt votre père ou votre mère ?
Là, c’est les deux, avec les Beatles et les Stones. En voiture, souvent. Et puis on chantait. J’étais très mal en voiture quand j’étais petite, donc il fallait me faire penser à autre chose. On écoutait aussi beaucoup Offenbach, des chansons françaises : Trenet, Boby Lapointe, Gainsbourg, Brassens. Le top, quoi ! Ma mère a des heures d’autonomie en chanson française. Le problème, c’est qu’elle transforme beaucoup les paroles. Souvent assez joliment, d’ailleurs ! N’empêche que quand j’entendais les versions originales après, j’avais du mal à reconnaître les chansons. Il y a encore des titres des Stones ou des Beatles qui, dès que j’en entends les premières notes, m’évoquent l’odeur du cuir dans la voiture.
Plus récemment, quelles sont vos découvertes musicales ?
Je ne suis pas très en avance sur la musique. J’ai même quelques dizaines d’années de retard. Mais bon, chacun son rythme. Moi, c’est le classique qui m’exalte vraiment. En même temps, ça m’agace de ne pas écouter la musique de mon époque. J’essaie de faire des efforts, mais ça échoue la plupart du temps. Ou alors, c’est une chanson qui va me tenir des mois. L’année dernière, c’était La Nuit, je mens de Bashung. Un grand bonheur…
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Marie Trintignant joue aux côtés de son père Jean-Louis la pièce Comédie sur un quai de gare, écrite et mise en scène par Samuel Benchetrit au Théâtre Hébertot à Paris. Par ailleurs, elle se prépare à tourner dans le prochain film de François Ozon, une comédie policière interprétée par la crème de nos comédiennes nationales.
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