Avez-vous été élevé dans un environnement culturel ? Non, pas spécialement. Mes parents avaient surtout le souci qu’on travaille bien à l’école. Vous souvenez-vous du premier disque que vous avez acheté ? La Tendresse de Daniel Guichard, à 13 ans. (Il chante)… “La tendresse, c’est quelquefois ne plus s’aimer, mais être heureux de se trouver […]
Avez-vous été élevé dans un environnement culturel ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Non, pas spécialement. Mes parents avaient surtout le souci qu’on travaille bien à l’école.
Vous souvenez-vous du premier disque que vous avez acheté ?
La Tendresse de Daniel Guichard, à 13 ans. (Il chante)… « La tendresse, c’est quelquefois ne plus s’aimer, mais être heureux de se trouver à nouveau deux… » J’étais subjugué par cette chanson qui m’évoquait une histoire finie avec une fille dont j’étais encore amoureux. Après, il y a eu Julien Clerc, mais là, le problème, c’est que toutes mes copines tombaient amoureuses de lui.
Vous n’écoutez que de la variété française ?
Non, après j’ai eu des chocs avec la musique classique, en particulier Chostakovitch et Janácek. Mahler aussi, qui a très bien utilisé la musique dite vulgaire dans ses uvres. J’aime tous les gens qui malaxent et qui métissent. Beaucoup parlent de tolérance, mais finalement peu la pratiquent. Louis Clavis fait ça en mêlant le jazz, le classique, l’avant-garde, le musette… Quand j’écoute Phil Glass, je ne me dis pas que c’est de la musique sérielle, intello. Et après, je peux passer à Julien Clerc.
Comment êtes-vous venu aux textes, aux auteurs ?
Pendant longtemps, l’école ne m’intéressait pas. C’est quand j’ai découvert le théâtre à 14-15 ans au lycée que j’ai commencé à approcher les auteurs. Là, je me suis mis à entretenir un rapport très fraternel avec les écrivains. J’ai compris que j’étais concerné par ce qu’ils écrivaient, que ce n’était pas un monde lointain, inaccessible, « culturel », que ça correspondait à la vie.
C’est en jouant que vous en êtes arrivé là ?
Oui, c’est en attrapant les textes par le corps que j’ai commencé à les comprendre. Dans le lycée où j’étais, il y avait une troupe de théâtre. En plus, j’avais la chance de faire du latin et du grec : les auteurs classiques m’ont donné le goût du langage. J’ai alors compris que tout la littérature, la musique… était une question de langage. Que ce n’était pas une question de j’aime/j’aime pas, mais que c’était un langage qui s’apprend. Après, les chocs sont venus au fur et à mesure. Comme quand on lit Cent ans de solitude, et puis qu’on pleure. Ou quand on découvre Céline : c’est bouleversant. Et le théâtre, c’est pareil. Quand j’ai lu Peer Gynt la première fois, j’étais estomaqué. Une joie tellement intense.
Quels sont vos autres grands chocs de théâtre ?
Bob Wilson, au début des années 80. A l’époque, il bouleversait l’approche qu’on pouvait avoir du jeu d’acteur de théâtre. Si vous découvrez un type de 17 ans qui est psychopathe et qui joue magnifiquement bien, tout d’un coup vous vous posez des questions sur la normalité du jeu de l’acteur. Surtout quand vous êtes dans une école de théâtre : là, vous avez besoin que ce que vous apprenez ait un sens. C’était donc intéressant mais difficile à admettre : d’où la nécessité de tels chocs esthétiques.
Avez-vous vécu la même chose avec la peinture ?
J’ai eu ça avec Jackson Pollock, avec Max Beckmann, ce peintre allemand qui fait tout le temps des portraits retournés, avec Giacometti. Et aussi avec Rembrandt, que j’ai découvert à travers un texte de Genet que j’avais joué et qui s’appelle Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et foutu aux chiottes.
Et au cinéma ?
Eustache m’a beaucoup marqué. Mes petites amoureuses a été un grand choc : cet enfant avec ses bras ballants qui regarde le monde comme ça. Et puis après, des film de Bresson, mais aussi 2001 : l’odyssée de l’espace de Kubrick, Orange mécanique, même les films de Sautet. A une époque, on habitait à Tahiti où on voyait de gros péplums dans les drive-in, les cinémas en plein air. Voilà mes premières visions de cinéma : Maciste, ce gros baraqué, tendu sur des toiles.
Vous-même avez tourné un film ?
J’ai réalisé un court métrage qui s’appelle La Cloche, avec Michel Aumont dans le rôle principal. Le point de départ m’est réellement arrivé. Je faisais la queue pour voir un film au MK2 Beaubourg, et un clochard était devant la porte et demandait aux gens de lui payer une place. Dans le film, ce clodo dit : « Il n’y a pas de raison. Si je ne peux pas accéder à la culture, je ne risque pas d’être sauvé. C’est dégueulasse. » Un type bien sous tous rapports, de gauche, c’est-à-dire moi, finit par céder, lui paie une place. Mais une fois que le clodo est entré, il fait beaucoup de bruit, donc les gens râlent. Il y a une gêne. Je me souviens qu’en jouant dans une prison, j’avais compris ce qu’on raconte sur Shakespeare et sur les représentations où le silence bourgeois d’un public n’est pas obligatoire. Les prisonniers parlaient pendant qu’on jouait, mais de temps en temps, il y avait de grands silences, et là, en tant qu’acteur, on sent qu’on les a gagnés. Dans mon court métrage, je voulais montrer les ambiguïtés qu’il y a dans la charité culturelle. J’ai toujours ressenti que la culture est quelque chose que la bourgeoisie cherche à protéger comme une valeur. Comme on protège un tableau de Van Gogh : il y a des policiers autour. Et en même temps, l’art et la culture sont prédisposés à une envie de sauver le monde. Une grande contradiction.
*
Charles Berling interprète Cravate club de Fabrice Roger-Lacan, mis en scène par Isabelle Nanty aux côtés d’Edouard Baer au Théâtre de la Gaîté-Montparnasse, et on le retrouvera dès la semaine prochaine à l’affiche de La Comédie de l’innocence de Raoul Ruiz aux côtés d’Isabelle Huppert et Jeanne Balibar.
{"type":"Banniere-Basse"}