Dans quel environnement culturel avez-vous été élevée ? Mes parents avaient divorcé. J’ai été élevée par ma mère qui peignait tout le temps. Moi pas. Mais elle m’emmenait tous les dimanches après-midi aux concerts : au Théâtre des Champs-Elysées, aux concerts Colonne, à la salle Gaveau, à la salle Pleyel. Mon grand-père jouait beaucoup de […]
Dans quel environnement culturel avez-vous été élevée ?
Mes parents avaient divorcé. J’ai été élevée par ma mère qui peignait tout le temps. Moi pas. Mais elle m’emmenait tous les dimanches après-midi aux concerts : au Théâtre des Champs-Elysées, aux concerts Colonne, à la salle Gaveau, à la salle Pleyel. Mon grand-père jouait beaucoup de Bach sur son orgue, des fugues. A ce moment-là, je rêvais de devenir pianiste soliste : j’ai commencé à prendre des cours. Le premier disque que j’ai acheté, c’est les lieder de Schubert en 78t. Aujourd’hui, je préfère Mozart. J’ai été élevée dans une famille où on aimait la musique et la peinture, mais pas tellement le cinéma : c’était plutôt mal vu.
La musique, c’est resté important pour vous ?
Oui, d’autant que le père de ma fille Pascale était musicien de jazz. Je l’ai d’ailleurs rencontré à 16 ans dans une boîte de jazz. J’ai commencé à aller très jeune au Club Saint-Germain, au caveau de la Huchette. Des gens comme Chet Baker, Art Tatum, Oscar Peterson ou Gerry Mulligan jouaient là. J’adorais tout ça. Ça me parlait beaucoup, toute cette musique. C’était l’époque des surprises-parties : il y avait les surboums du Trocadéro, les surboums de l’Etoile, les surboums de la place Victor-Hugo… On se donnait l’adresse. Quand j’ai commencé à aller en surprise-partie, j’ai laissé tomber les cours de piano. Je préférais m’amuser. Je me suis beaucoup amusée avec le rock. Chuck Berry évidemment. Et puis Elvis Presley : on ne peut pas trouver tellement mieux.
Jusque-là, le cinéma n’avait pas une grande importance ?
Non, j’allais voir des films mais je ne me projetais pas dans cet univers. Le premier film qui m’a vraiment troublée tellement je l’ai trouvé érotique, c’est Sourire d’une nuit d’été de Bergman. Mais mes amies qui collaient les couvertures de Cinémonde dans leurs chambres m’exaspéraient. Du coup, je trouvais le cinéma très ordinaire, ça ne me faisait pas rêver. Et puis j’ai divorcé du père de Pascale très jeune, à 19 ans. Et là, j’ai rencontré Marc O. qui m’a introduite aux livres surtout, et aussi au cinéma.
Surtout aux livres ?
Oui, aux surréalistes, André Breton en tête. A partir de là, je me souviens avoir lu tout ce qui était interdit : Lolita de Nabokov, les Tropiques d’Henry Miller, Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry, Le Festin nu de William Burroughs. En 62, vous imaginez le bouleversement… Je me souviens qu’on allait en Grèce dans l’île d’un ami écrivain. Tous les jours, on lisait pendant trois ou quatre heures. Et après, on venait se raconter ce qu’on avait lu : il y avait de grandes batailles de fond. J’étais la plus jeune : j’ai beaucoup appris là. Par ailleurs, avec ma copine, on prenait le 63 pour aller au Flore : dans un coin, il y avait toujours Sartre et Simone de Beauvoir. A l’époque, on snobait un peu le cinéma, on préférait la littérature. Mais c’était une erreur parce qu’après, j’ai pris un plaisir incroyable avec le cinéma.
Vous vous souvenez des grands chocs de cinéma ?
Avec Marc O., on voyait tous les films au cinéma MacMahon. J’ai appris à être actrice en regardant jouer Marlon Brando, Marilyn Monroe, Nathalie Wood, Montgomery Clift. Je regardais comment ces acteurs faisaient monter leur émotion. Je me souviens de James Dean dans A l’est d’Eden, des temps qu’il marquait qui n’étaient pas encore dans nos traditions. C’était comme aller à un cours : tiens il a gratté son pied en disant ça, là je parle de Marlon Brando évidemment. Maintenant, tout le monde sait ça, mais à l’époque, c’était pas si con.
Et puis, en 1969, il y a eu la rencontre avec Jacques Rivette…
Jacques Rivette, c’est très important. J’ai fait six films avec lui, entre 1967 et 1987. Ça m’a permis de mettre en pratique au cinéma des choses que j’avais déjà aperçues chez Cassavetes : des choses spontanées, inventées, improvisées. Jacques m’a fait faire mon premier film et le premier film de Pascale. Donc il y a une espèce de courbe, comme ça.
Il y a eu aussi une grande aventure avec Duras.
Avec Marguerite, c’était compact. Je n’ai pas l’impression d’avoir travaillé avec elle, mais plutôt l’impression d’avoir vécu. D’autant plus qu’elle n’était pas vraiment un metteur en scène dans le sens habituel. Elle faisait son objet de mise en scène, mais ça aurait aussi bien pu être un livre qu’une recette de cuisine. Pourquoi compact ? Parce qu’on se voyait tout le temps. C’était quelqu’un de tellement enrichissant qu’on ne pouvait pas se passer d’elle. Sinon la nourriture manquait. J’ai beaucoup ri avec elle. On se voyait tous les jours, on dînait ensemble tous les soirs. On était dans le plaisir. Elle m’a appris à entendre le son des mots. Marguerite, elle m’a appris des tas de choses, mais pas seulement de théâtre. Tout : sur l’amour, sur la guerre, sur la Résistance, sur la musique, sur la façon d’écouter une musique, plein de choses. Au fond, j’ai toujours appris les choses par tradition plus ou moins orale. J’ai toujours eu autour de moi quelqu’un qui m’a nourrie. Oui, j’ai eu de la chance.