« Jackie » est un beau film de Pablo Larrain sur le vécu de la veuve de JFK dans les jours suivant l’assassinat du président, évènement qui ouvrit une nouvelle ère du cinéma américain. L’occasion de revenir sur la façon dont ce meurtre hante tout un pan du cinéma américain de ces cinquante dernières années
L’assassinat de John Fitzgerald Kennedy le 22 novembre 1963 à Dallas est souvent considéré comme l’événement qui dessilla l’Amérique heureuse et « innocente » des années cinquante en pleine croissance consumériste. Le choc sismique toucha aussi le cinéma, comme l’a montré l’excellent essai de Jean-Baptiste Thoret, 26 secondes : l’Amérique éclaboussée. Alors qu’avant ce 22 novembre, le cinéma américain de grande consommation montrait une société globalement heureuse, gouverné par l’idée du bien, dont les mauvaises herbes étaient toujours terrassées par un héros positif et un happy end, il y eu un après-22 novembre 63 pour le cinéma hollywoodien aussi, qui s’ouvrit dès lors à l’inquiétude, au soupçon, au questionnement, à la paranoïa, et à une violence plus explicite et plus graphique.
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Matrice
Le film matriciel de ce cinéma plus adulte et plus sombre est la courte bande tournée en super 8 et en direct live de l’événement par un badaud, Abraham Zapruder – les fameuses 26 secondes du titre de l’ouvrage de Thoret. On y voit clairement le président s’affaisser en avant, sous l’effet probable d’un premier coup de feu, puis sa tête exploser sous le coup d’un deuxième projectile, alors que son épouse affolée se retourne et tente de se ramper vers le coffre arrière, soit pour y chercher quelque chose, soit pour se protéger. Ce qu’on ne voit pas en revanche, c’est le ou les tireurs, ni la provenance des balles, ni le nombre exact de coups tirés, et encore moins les commanditaires du crime (s’ils existent), d’où le nombre d’interprétations et hypothèses contradictoires allant jusqu’au complotisme le plus délirant.
Tout petit film (en durée et ambition de départ, l’équivalent d’un selfie), mais impact maximal : à l’insu de son plein gré, Zapruder démontrait que les images mentent autant qu’elles montrent, cachent autant qu’elles dévoilent, que cadre et angle de prise de vue ne laissent apparaître qu’une vision très partielle de la réalité totale.
Kennedy fictionné
De nombreux films (et séries tv) ont été directement consacrés à cet événement. On peut citer Complot à Dallas (1973) de David Miller, film peu connu qui fut scénarisé par Dalton Trumbo et joué par Burt Lancaster et Robert Ryan, ce qui n’est pas rien. Le film adopte l’hypothèse de l’assassinat secrètement organisé par des huiles du complexe militaro-industriel qui estimaient la politique de Kennedy trop dangereusement à gauche et mêle fiction et images d’archives.
Cette version très politico-complotiste est possible mais n’a jamais pu être prouvée. On peut citer encore Parkland (2013) de Peter Landesman, avec Zac Efron, qui adopte le point de vue original de l’équipe médicale de l’hôpital qui reçut le corps du président juste après la fusillade, Les Kennedy, une série télé qui brosse tout le mandat de JFK de son élection à son assassinat, ou encore 22-11-63, autre série de J.J. Abrams (actuellement diffusée sur Canal), une uchronie où le héros retourne dans le passé pour empêcher l’assassinat et changer positivement le cours de l’histoire.
Mais le “JFK film” le plus marquant reste JFK (1991) d’Oliver Stone. Le cinéaste s’attache notamment à l’enquête du procureur Garrison mettant en doute les conclusions de la commission Warren. Stone émet l’hypothèse d’une machination politique sans toutefois l’affirmer. Critique, questionneur, le film fut toutefois objet de polémiques, certains journalistes reprochant au cinéaste des ajouts de son cru et d’avoir pris quelques libertés avec les faits. La séquence de l’assassinat est remarquablement mise en scène, avec un grand souci de vérisme dans la reconstitution. Par ailleurs, JFK a eu un véritable impact politique puisque ce film a conduit à une loi permettant de déclassifier certains documents relatifs à l’affaire.
Le 22 novembre 63, virus à fictions
Plus intéressant que les films décrivant littéralement l’assassinat de JFK, ceux qui s’en inspirent. Parmi ceux-là, une bonne part de la filmo de Brian De Palma. Dans Greetings (1968), l’un des protagonistes n’a qu’une obsession : découvrir la vérité sur l’assassinat. Blow out (1981) est entièrement construit sur un attentat commis contre un homme politique et dont la vérité tourne autour d’une bande-son sur laquelle on entend ou croit entendre un coup de feu – bande-son que le héros réécoute obsessionnellement comme on a pu revoir des dizaines de fois le film de Zapruder.
Les vérités de l’histoire se nichent parfois dans le détail infinitésimal d’une image ou d’un son, et c’est aussi ce rapport entre l’infiniment petit et l’infiniment impactant qui fascine dans l’affaire JFK et ses dérivés fictionnels. Snake eyes (1998) reprend ce motif de l’assassinat d’un homme politique en réunion publique dont la vérité est difficile à établir et se construit sur plusieurs points de vue du même événement.
Dans Conversation secrète (1974), palme d’or à Cannes, Francis Ford Coppola préfigurait Blow out et reprenait les figures de l’affaire JFK : la présence du sniper embusqué, des êtres en danger de mort sans le savoir, un outil d’enregistrement (sonore) qui témoigne accidentellement d’un fait grave mais dont la valeur de preuve est incertaine, parce que partielle. Film magnifique et emblématique de l’ère de la paranoïa et du soupçon inaugurée par les événements de Dallas et renforcée depuis par la guerre du Vietnam et l’affaire du Watergate.
La même année, Alan J. Pakula signe A cause d’un assassinat, récit du meurtre d’un sénateur dont tous les témoins disparaissent peu à peu mystérieusement. L’assassinat est-il l’œuvre d’un déséquilibré ou d’un complot politique ? Les témoins sont-ils eux aussi victimes de ce complot ? Bien que totalement fictif, toute ressemblance entre ce récit et la réalité de l’affaire JFK n’est nullement fortuite.
En 1993, Wolfgang Pterersen signe Dans la ligne de mire où Clint Eastwood interprète un agent de sécurité chargé de la protection du président et qui ne se remet pas de ne pas avoir su déjouer l’attentat contre Kennedy. Le 22 novembre 63 y est vu comme un éternel remords qui revient hanter le cinéma et la psyché collective américaine, un trauma originel, un passé qui ne passe pas.
Depuis est survenu une autre date traumatique peut-être encore plus forte, définissant un nouveau basculement d’époque, le 11 septembre 2001 (et ce n’est pas un hasard si des cinéastes comme Oliver Stone ou Clint Eastwood s’y sont autant intéressés qu’au 22-11-63).
Pour autant, on n’en a pas fini avec le mystère Kennedy comme le prouve le Jackie de Pablo Larrain qui resserre les 26 secondes cruciales sur l’épouse prenant dans ses bras le corps de son mari ensanglanté, mourant. Comme si Larrain voulait pour un instant s’éloigner de l’histoire, du mythe, de la machine à fantasmes conspirationnistes, et revenir vers la tragédie intime d’une femme en train de perdre brutalement l’homme qu’elle aime.
https://youtu.be/2OERtfbWqdc
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