La vie désoeuvrée de la jeunesse des cités en dessin animé mais sans caricature. Une petite bombe de créativité et de fantaisie.
Etre observateur culturel, de nos jours, c’est tenir la gageure impossible de se transformer en radar omniscient à l’affût des mille et une créations diffusées par les mille et un canaux audiovisuels et/ou informatiques à disposition. N’étant ni super-ordi ni Superman, on avait par exemple loupé le phénomène Lascars, petits modules animés d’une minute diffusés d’abord par Canal+, puis sur internet, où ils connaissent paraît-il un succès important. Du coup, le long métrage d’animation d’Albert Perreira Lazaro et Emmanuel Klotz nous apparaît comme une “découverte” doublée d’une très bonne surprise. Lascars, c’est la street culture des cités en dessin animé, une sorte de prolongement contemporain des BD rock et soul des années 70-80, la version actuelle des planches de Margerin, Serge Clerc, Chaland et autres Philips de nos années Rock & Folk ou Métal Hurlant.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Les concepteurs de ce projet (outre les réalisateurs, on peut citer le collectif de rappeurs et graphistes – scénaristes du film et auteurs du concept – Alexis Dolivet, Eldiablo, IZM, Numéro 6, Cap 1 et Lucien “Papalu”) ont imaginé une sorte de petit conte urbain où divers habitants jeunes et désœuvrés de la cité de Condé-sur-Ginette (banlieue fictive de Paris) cherchent à meubler le grand vide de l’été. L’un a des problèmes avec le chef dealer du secteur, l’autre trouve un job de gardien du manoir d’une grosse huile locale, certains prétendent partir en vacances sous les tropiques et envoient leurs photos prises depuis un aquaboulevard voisin… Ingrédient indispensable pour animer le quotidien de ces personnages et le scénario du film : les filles. Sans oublier l’irruption d’une équipe de tournage de série Z porno fauchée.
Toute cette histoire n’est évidemment qu’un prétexte à déployer tous les thèmes et motifs qui dessinent la vie quotidienne de la jeunesse des quartiers et la pop culture urbaine contemporaine : l’amitié, la structure de groupe, la dèche financière, le désir sexuel et sa compagne quasi jumelle la frustration, l’ennui, les rêves grandioses ou dérisoires, la musique, la danse, le langage, les codes gestuels et comportementaux, les relations avec la police, la démerde économique, le contexte mafieux. A l’instar d’Abdellatif Kechiche (L’Esquive) ou Riad Sattouf (Les Beaux Gosses, qui est un peu l’équivalent “bolos” des Lascars), Klotz, Lazaro, IZM and co ont su capter avec justesse cet univers si facilement ouvert à la caricature : de fait, caricature il y a, mais elle est subtile et empathique avec son objet.
Langue et gestes sont particulièrement bien croqués, crédibilité renforcée par un casting quatre étoiles (Cassel, Diam’s, Omar et Fred, etc.). Qu’une partie des scénaristes et des acteurs prêtant leurs voix soient eux-mêmes issus des quartiers n’est évidemment pas étranger à cette réussite.
Le dessin est aussi très convaincant, entre stylisation cartoonesque et réalisme – on reconnaît bien l’architecture, la topographie et le mobilier urbains et surburbains, la fracture créée par le périph, autant visuelle qu’économique et sociale. L’humour (dialogues et situations) et la musique sont omniprésents et propulsent le film sans faiblir, transcendant un matériau potentiellement déprimant en petite bombe de créativité et de fantaisie.
Notre seul bémol concernerait la technique d’animation, pas aussi fluide et parfaite que chez les champions américains du genre. Cela n’empêche nullement Lascars de pulser et de garder le flow pendant une heure et demie, secouant le spectateur de rire et d’envie de bouger. Vue sous l’angle de ce film d’animation, la banlieue est une fille séduisante, qui ne cache pas ses problèmes ou ses disgrâces, mais les retourne à son avantage avec une énergie contagieuse. De la balle, bébé !
{"type":"Banniere-Basse"}