Les tribulations d’un joueur de marimba au Guatemala, un docufiction trash et sublime.
Attention, chef-d’œuvre de l’art brut ! Ce soi-disant documentaire est une merveille. Soi-disant documentaire, car si ses protagonistes et leur cadre de vie sont arrachés brutalement au réel, la construction du récit et les nombreuses péripéties appartiennent manifestement à la fiction. Mais la trame mise en place n’a rien de linéaire et repose sur des ellipses à foison ; d’où une (jubilatoire) progression narrative avançant par microchocs narratifs.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le film tout entier tire sa forme et sa force d’un principe déceptif ; y contribuent le cadre soigneusement approximatif ou décalé, les événements parfois plats et/ ou inaboutis, et les coups de théâtre abrupts. Grosso modo, on suit les aventures de trois pieds nickelés guatémaltèques qui décident d’unir leurs maigres forces artistiques en formant un groupe de heavy metal hautement improbable, Las Marimbas Del Infierno.
Tout le récit tourne autour d’un instrument, le marimba, sorte de gros xylophone, auquel Don Alfonso est viscéralement attaché et avec lequel il anime des bals. Mais les engagements se font rares, et Don Alfonso entreprend, par l’entremise de son neveu, sorte de gnome punk, de monter (avec lui) ce groupe heavy metal, en s’adjoignant un vétéran légendaire du hard rock guatémaltèque nommé El Blacko – un ex-sataniste devenu prédicateur dans une secte d’inspiration hébraïque, qui est par ailleurs médecin.
Le film, qui tourne le dos aux préceptes des manuels de scénario préconisant le rythme et l’efficacité, tire son style génial de l’atonie de ses personnages ainsi que de leurs aventures, dont le leitmotiv est l’échec. Parfois, il ne se passe rien et tout repose sur le bluff du hors-champ (un personnage lance une pierre sur quelqu’un qu’on ne voit pas). Non seulement c’est désopilant, mais aussi émouvant, comme toutes les œuvres réussies sur des freaks, comme toute les histoires absurdes dont Beckett est le parangon (ou l’Estragon).
Cette primitivité formelle et narrative est un vrai bain de jouvence par rapport aux fictions homogénéisées d’Europe de l’Ouest et d’Hollywood. Le cinéma roumain a montré la voie d’un naturalisme cru et sans filtre. De même, nombre de films latino-américains récents abordent des territoires accidentés de la fiction en flirtant souvent avec le trash. C’est au prix de telles turbulences esthétiques que le cinéma peut se renouveler. A ce titre, cette œuvre en apparence bancale, insituable entre documentaire et fiction, et flirtant avec l’amateurisme, est un trésor.
Las Marimbas del infierno de Julio Hernández Cordón (Gua., Mex., Fr., 2010, 1 h 14)
{"type":"Banniere-Basse"}