Cette comédie féroce sur le handicap réussit tout autant comme charge contre la bienséance et comme danse burlesque de corps déréglés.
Les “corps vils” au cinéma ne sont pas les masses de fêtards qu’Evelyn Waugh décrivait dans son roman, mais bien ceux des handicapés physiques, dont la représentation est sans cesse menacée par le pathos, la leçon édifiante. Une catégorie plus sympathique est celle des handicapés hargneux, à peu près toujours en fauteuil roulant. De Peter Sellers sur roues forcément grinçantes dans Docteur Folamour à la paire Delépine/ Kervern dans le road-movie (en fauteuil) Aaltra, le handicapé moteur y joue sur la mauvaise conscience, écrase le politiquement correct et est un salaud comme tout le monde. L’Art de la pensée négative s’ajoute à cette liste sous forme d’un jeu de massacre qui n’épargne aucune dimension du “problème” : la dépendance, la culpabilité, le regard du conjoint valide, la sexualité… Soit ici un groupe de thérapie pour handicapés. Mené par une psychologue des services sociaux norvégiens, il entreprend de convertir à la pensée positive Geirr, un paralysé cynique qui préfère l’invective et se cloître dans sa chambre avec ses disques de Cash et Apocalypse Now – le personnage est un pied de nez au cliché du vétéran mutilé façon Tom Cruise dans Né un 4 juillet. La séance dégénère vite pour tous. Huis clos lo-fi, le film aurait pu facilement tourner à la pièce de théâtre plan-plan. Sauf que la promiscuité fait vite sens – en fauteuil roulant, on ne va pas très loin – pour les protagonistes peu à peu conscients que cette méthode Coué très américaine est en fait une impasse, une énorme mascarade sectaire (telle la phrase presque maoïste “les petits changements font les grands changements”). Mais la force du film est d’envisager finement son espace (la maison de Geirr) pour un ballet de corps atypiques, dans toutes les combinaisons possibles, qu’il s’agisse de sauter par la fenêtre ou de rester coincé sur un monte-charge. On retiendra ainsi le personnage de la jolie blonde paraplégique au sourire-rictus perpétuel, et celui d’un sexagénaire marmonnant, traité comme le monstre de Frankenstein.
A travers eux et leurs postures de poupées cassées, le film trouve un équilibre entre la charge (contre la bienséance, l’infantilisation du coaching et de l’Etat-providence norvégien) et l’énergie burlesque noire, où le handicap serait une mécanique à la fois inquiétante par sa rigidité et ses affolements non contrôlés. Tel le bras du docteur Folamour, toujours en danger de faire le salut nazi au plus mauvais moment. La fin assez curieuse du film, lourde, presque absurde au regard du chaos passé, enfonce le clou : oui, penser positif est décidément très irritant.
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