Au moment où on ne sait pas si nous reverrons un nouveau film de Lars von Trier, tant la fin de “The Kingdom Exodus”, troisième saison de sa série “L’Hôpital et ses fantômes”, où il apparaît atteint de la maladie de Parkinson, ressemble à une dernière révérence, les Films du losange sortent l’intégrale du cinéaste danois, en copie restaurée.
Déjà montrés au Festival de La Rochelle, les quatorze longs métrages, étalés sur quarante ans de carrière, qui constituent sa filmographie dressent les plans d’un manoir hanté, d’un asile aussi grandiose que lugubre.
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Grand cinéaste dépressif, provocateur (jusqu’à l’excès lors de la conférence de presse de Melancholia où il a dit “comprendre Hitler”) et misanthrope, Lars von Trier se distingue pourtant du club des réalisateur·ices pessimistes par un sens du baroque inouï. Formellement, ses films sont d’une beauté macabre prodigieuse. Et s’il ne croit pas en l’humain, il est évident que LVT croit en l’art, sous toutes ses formes. Airs d’opéra (Wagner dans Melancholia, Haendel dans Antichrist), suspension pop (Björk sur le pont ferré de Dancer in the Dark), tableaux vivants (Bosch, ou l’Ophélie de John Everett Millais), dispositif théâtral (Dogville est une tentative d’application de la pensée de Brecht), littérature (notamment Sade et Dante) et clin d’oeil à son panthéon cinématographique personnel (Tarkovski en tête) ; peu d’auteur·ices auront à son point fait du cinéma un art aussi total.
Des profondeurs de la terre (The House That Jack Built) aux astres (Melancholia), ses films avalent le monde pour le ramener à l’échelle d’une psyché torturée. Et si son œuvre est certes transcendée par une esthétique outrancièrement faramineuse, ses personnages, souvent doubles du cinéaste, sont presque tous atteints de dépression, d’une mélancolie romantique baudelairienne, d’un mal de vivre insurmontable.
Et ce qui est fou, c’est qu’à 67 ans, LVT ne semble pas s’être assagi. Son dernier film est d’un humour noir, d’une verve satirique et sinistre aussi alerte que ses premiers films du Dogme95. Cette intégrale sera d’ailleurs l’occasion de découvrir la première trilogie (Element of Crime, Europa et Epidemic) qui est sans doute la partie de l’œuvre la moins connue du cinéaste, mais aussi d’enfin voir le director’s cut de Nymph()maniac en salle.
L’intégrale Lars von Trier en copie restaurée aux Films du losange.
Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 10 juillet. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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