Reprise de quatre Melville majeurs : trois polars ténébreux et L’Armée des ombres, son grand film hanté sur la Résistance.
Ce qui est bien, chez Jean-Pierre Melville, c’est que le hors-champ est toujours à la hauteur du champ. Le champ, c’est le spectacle : des casses, des truands, un sens de l’honneur bidon, une mythologie absolue (une pègre française qui se pavane dans des bars américains avec des danseuses à plumes), des meurtres, des trahisons, des types
qui passent à table (ou pas) face à une flicaille perverse, le tout dans une mise en scène au couteau, très influencée par Robert Bresson. Et quand le milieu est remplacé par la Résistance, il n’y a pas de différence, ça reste un film policier : L’Armée des ombres.
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Melville a été résistant : les résistants luttaient pour la liberté mais cette lutte était une prison permanente. Gerbier (Lino Ventura, génial) est obligé de se planquer pendant plusieurs semaines dans une maison isolée pour échapper aux recherches de la Gestapo. Son chef de réseau, Jardie (Paul Meurisse), a fait confectionner un petit bureau clôt au milieu de sa grande bibliothèque d’intellectuel pour ne pas souffrir du froid. Quand les soldats te disent de courir (pour t’abattre dans le dos), tu ne veux pas (parce que tu sais) mais tu le fais quand même. Et parfois tu fais bien (tu survis). On est obligé d’étrangler un grand gosse qui a parlé, ou de descendre une amie, une mère pour tous, celle qui a sauvé tout le monde avant qu’elle ne soit arrêtée (Simone Signoret). Pour pouvoir écrire partout le mot liberté, tu vas en baver, de la prison, de la torture, voir tes amis te tuer.
Et puis il y a ce qu’on ne montre pas, le hors-champ, l’ellipsé, l’éclipsé. Et qui impressionne encore plus. Dans Un flic, Delon annonce à une grosse brute qu’il parlera. Ellipse. Il a parlé. A quel prix ? On ne le saura jamais mais on n’oubliera jamais le regard bleu acier de Delon quand il proférait sa menace. A la fin de L’Armée des ombres, un panneau nous annonce que le plus massif des résistants, surnommé “Le Bison” (Christian Barbier), fut arrêté et décapité à la hache. C’est ça le plus cruel, le plus choquant. Les arbres les plus solides, on les coupe.
Dans Un flic, pas le plus connu (moins que Le Samouraï), il y a aussi, qui pointait déjà depuis longtemps dans son cinéma, quelque chose de plus trouble encore, de sexuel. Les femmes chez Melville sont des êtres rares (putes ou patronnes de bar) au sens propre et au sens figuré. Dans Le Deuxième Souffle, on attendait longtemps avant de savoir si Manouche (Christine Fabrega) était l’ex ou la sœur de Gu (Lino Ventura). Bien sûr, les histoires de truands sont toujours des histoires d’amour entre hommes. Mais là, Melville n’est jamais allé aussi loin. Déjà, le commissaire Coleman (Delon) est l’amant de la copine (Deneuve !) de son ami chef de gang. Et puis il y a ce personnage de travesti-informateur en jaguar, Gaby (Valérie Wilson), que Delon maltraite de manière plus morale que physique. Un personnage troublant, déchirant : l’entre-champ, inédit chez Melville. C’est son dernier film.
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