Vingt-quatre heures dans la vie d’une femme le jour de ses 60 ans, prétexte à aborder de manière inattendue la violence des rapports parent-enfant.
Au premier coup d’œil, Lara Jenkins a l’aspect glacial et misanthrope du cinéma allemand post-Michael Haneke. Sa mise en scène, chirurgicale, son décor social, la petite bourgeoisie, son univers, celui de la musique classique, et son sujet, la souffrance d’une mère seule et acariâtre qui, le jour de ses 60 ans, tente de se suicider puis de renouer contact avec son fils, en font un cliché du film qui conjugue ivresse dépressive et réalisation autosatisfaite.
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Pourtant, Lara Jenkins échappe à ce lieu commun dès ses premières minutes. Et c’est parce que le film chérit une forme de candeur plutôt que de cynisme, cultive la générosité de l’interprétation et de la mise en scène plutôt que l’austérité et la complaisance. Loin de doucement ronronner son pessimisme, sa réalisation éclabousse chaque plan d’une idée vacillante, d’un imperceptible geste trahissant l’état émotionnel complexe de ses personnages. Son interprète principale, l’extraordinaire Corinna Harfouch, est un abîme de souffrance, une sorte d’Isabelle Huppert allemande, sans la chaleur qui bout sous la glace.
Mère incomprise, fille traumatisée, épouse abandonnée
A travers son corps, son sourire crispé et son regard sombre s’exprime toute la violence des rapports parent-enfant ; la douleur que l’on peut dire et celle que l’on doit taire, les rendez-vous manqués, l’amour que l’on ressent sans être en mesure de l’exprimer, la façon dont se sont répétées en nous des fêlures qui nous précédaient, celles dont nous avons hérité de nos propres parents.
Car ces vingt-quatre heures dans la vie d’une femme sont aussi autant de temps dans la vie d’une mère incomprise, d’une fille traumatisée, d’une épouse abandonnée et d’une artiste frustrée, et finalement d’une victime de misogynie ordinaire. La fin du film, bouleversante et loin du désespoir ambiant, est une invitation à ouvrir en grand les portes, les fenêtres, à laisser rentrer tout l’air possible et à s’exprimer sans retenue. Une ode à la liberté du corps et des sentiments qui achève de faire de Lara Jenkins une œuvre surprenante et réjouissante.
Lara Jenkins de Jan-Ole Gerster, avec Corinna Harfouch, Tom Schilling, André Jung (All., 2019, 1h38)
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