Les frères Larrieu se déplacent dans les Alpes suisses et y développent une étrange histoire glacée autour de secrets profondément enfouis sous la neige – et les inconscients.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Chez les Larrieu, il s’agit d’abord d’un paysage. Presque toujours d’une montagne : ici, un coin des Alpes suisses, son grand lac placide, ses bourgeois bien-pensants, ses bâtisses ultramodernes et ses chalets prétentieux, ses crêtes recouvertes de secrets enfouis sous la neige. Cela tient sans doute au fait que les frères s’aventurent hors de leurs chères Pyrénées – pour la seconde fois seulement, après Peindre ou faire l’amour – mais ce nouveau film est a priori moins accueillant que leurs précédents (Un homme un vrai, Le Voyage aux Pyrénées, Les Derniers Jours du monde). Plus froid. Plus nocturne. Plus policé (ou “polissé”, comme dirait Maïwenn). Hivernal en somme – même si, ne cesse de le répéter Mathieu Amalric, “le printemps arrive”.
Adapté d’un roman de Philippe Djian (Incidences, 2010), L’amour est un crime parfait raconte quelques jours, semaines peut-être, dans la vie accidentée de Marc, professeur de creative writing et spécialiste de “littérature et paysage” (pas de hasard). Un soir, conduisant sur des routes en lacet aussi tortueuses que son cerveau, il ramène chez lui une belle étudiante. La scène est somptueuse, flippante, bizarre, sexy – tout est déjà en place. Le lendemain, elle a disparu. Une enquête est ouverte.
Moins accueillant, cela ne veut pas dire moins réussi ; seulement moins hédoniste. L’amour est un crime parfait est un film davantage protestant que cathare, plus helvète qu’ariégeois. Le plaisir y est problématique, honteux ; on y accède autant mais il faut le cacher. Pas évident lorsqu’on passe ses journées dans une université aux murs de verre, enfer de transparence comme Jacques Tati aurait rêvé d’en filmer.
Les étudiantes (dont l’incendiaire Sara Forestier), le directeur (goulu Denis Podalydès), un flic (du genre fureteur, à la Guiraudie), une mère seule et éplorée (Maïwenn, très fausse donc très juste) : c’est bien simple, tout le monde épie le pauvre Marc. Ses nuits ne sont guère plus propices à la discrétion, puisque notre professeur les passe dans son chalet en compagnie de sa sœur (Karin Viard, somptueuse, flippante, bizarre, sexy) qui en surveille chaque alcôve et entre sans frapper. Le film se structure ainsi autour de ces deux espaces, public et privé, séparés par la nature sauvage : l’espace du fantasme, qui revigore mais peut aussi vous engloutir…
Dans ce thriller hypermaîtrisé, tout ce qu’on connaît des Larrieu est synthétisé à la perfection, avec cet art consommé du contre-pied, des chausse-trappes, des blagues surréalistes. On pourrait croire qu’il s’agit de leur film le plus clair dans ses intentions, tant celles-ci en pavent chaque embranchement, jusqu’à faire tenir au personnage principal des théories sur la littérature, qui s’appliquent en fait à leur cinéma (et ne figuraient pas dans le roman original). C’est au contraire leur film le plus secret. Quel est-il, ce secret ? Il réside au fond d’un trou, d’une crevasse, d’un gouffre, d’un vagin, appelons-le comme on veut. Et au bord de ce trou se tient Mathieu Amalric, impérial pour sa quatrième collaboration avec les frangins. Entre Don Juan, le loup de Tex Avery et le scorpion buñuelien (ouvertement cité), il règne, mi-goguenard, mi-ahuri, sur son petit monde. Un monde où le faux est partout : dans des dialogues volontairement littéraires (et joués comme tels), dans ces impossibles architectures de verre ou dans ce barbecue scandinave sur un toit de Lausanne.
Marc n’est pas le dernier à mentir, à jouer faux, à avoir des “trous de mémoire” qui l’arrangent bien, mais au bout du compte – c’est la grande leçon du film – il sera le seul à toucher un tant soit peu la Vérité. Parce que le seul, au fond, à avoir le courage de se pencher pour voir vraiment ce drôle de trou dans lequel s’engouffre majestueusement la sale histoire des frères Larrieu.
{"type":"Banniere-Basse"}