Dans le rêve de l’autre. Un Minnelli mineur qui mérite amplement la (re)découverte : ses plus beaux films sont aussi les plus tristes. Réalisé entre Yolanda et le voleur et The Pirate, deux chefs-d’oeuvre de la comédie musicale, Lame de fond inaugure une vague féconde dans la filmographie de Minnelli : le mélodrame psychanalytique. A […]
Dans le rêve de l’autre. Un Minnelli mineur qui mérite amplement la (re)découverte : ses plus beaux films sont aussi les plus tristes.
Réalisé entre Yolanda et le voleur et The Pirate, deux chefs-d’oeuvre de la comédie musicale, Lame de fond inaugure une vague féconde dans la filmographie de Minnelli : le mélodrame psychanalytique. A ce titre, il ne jouit d’ailleurs pas d’une réputation exceptionnelle chez les admirateurs du cinéaste. En retrait par rapport à des oeuvres similaires réalisées par d’autres metteurs en scène hollywoodiens (Rebecca et Soupçons d’Hitchcock, Hantise de Cukor), il apparaît surtout comme une ébauche passionnante des grands films à venir du cinéaste (The Cobweb, Some came running) tout en demeurant foncièrement atypique dans l’univers minnellien.
En effet, Lame de fond emprunte beaucoup à un genre que Minnelli ne retrouvera jamais par la suite : le film noir. Rien d’étonnant de la part d’un cinéaste bien plus préoccupé par la création d’un paysage psychologique que par les rebondissements d’une intrigue policière. Lame de fond débute comme une comédie familiale que Minnelli savait aussi, hélas, réaliser : un vieux professeur farfelu, sa fille aimante toujours célibataire, le garçon d’à côté prétendant résigné, dans un décor de petite ville américaine, nous font craindre un spectacle sirupeux dont les seuls angles seraient les répliques et le physique de l’exubérante Hepburn. Vieille fille hystérique, elle tombe en arrêt devant un mystérieux et richissime industriel (Robert Taylor), qui l’épouse aussitôt, sans que l’on comprenne vraiment pourquoi (et elle non plus). La rupture de ton est aussi soudaine que brutale et enclenche une longue et ténébreuse exploration intime. Une fois de plus, dans un film de Minnelli, « le personnage, comme l’écrivait Gilles Deleuze, va s’introduire dans le rêve de l’autre ». En même temps que la provinciale nigaude découvre l’univers mondain et sophistiqué de son nouveau mari (scène à la fois cocasse et angoissante de la première réception organisée en son honneur), elle comprend qu’elle a épousé un inconnu, un homme tourmenté qui lui révèle l’existence d’un frère maléfique et détesté dont le seul souvenir l’empêche de jouir du bonheur présent. Le film propose alors une vertigineuse plongée dans la névrose d’un être de plus en plus antipathique (Taylor n’a jamais eu à se forcer pour avoir l’air d’un imposteur, encore moins d’un salaud) qui s’enferme dans ses mensonges tandis que la candide épouse transfère l’admiration amoureuse qu’elle éprouvait pour le mari vers son frère absent (est-il mort ? se cache-t-il ? Lame de fond a parfois les faux airs d’un Laura inversé, réalisé la même année par Otto Preminger), mais dont les lieux et les êtres qui l’ont connu lui renvoie une image fascinante et beaucoup plus flatteuse que les confidences truquées de son époux. On l’aura compris, le frère de Taylor, c’est Mitchum. Il apparaît en tout et pour tout dans trois scènes qu’il rend proprement envoûtantes, ange laconique détenteur d’une vérité quelque peu prévisible. Mineur, sans doute, et conventionnel dans son happy-end, Lame de fond est à redécouvrir, car s’il ne révolutionne pas notre opinion sur Minnelli, il nous rappelle, si c’était nécessaire, que ses meilleurs films sont ses plus tristes.
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