Le réel comme matière à fiction, dans le porno ou sur les réseaux. Un film de l’entre-deux, sensible et étonnant, signé du réalisateur argentin Manuel Abramovich.
Lalo est un ouvrier mexicain qui, un soir, après son taf, poste sur Twitter une image de lui dénudé devant sa chaîne d’assemblage. Une société de production de films X gays le contacte pour qu’il interprète le rôle d’Emiliano Zapata dans un inattendu et drôle biopic porno du mythique révolutionnaire mexicain. Pornomelancolia décrit le quotidien de travailleur sexuel de Lalo, le tournage des scènes X, mais aussi le soin avec lequel il se met en scène sur les réseaux sociaux, amassant les followers de plus en plus avides d’interactions avec lui.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pornomelancolia n’est ni une fiction ni strictement un documentaire. Plutôt un portrait composé à deux avec la complicité de son modèle. Lalo Santos existe, a tourné des films gays, pose nu sur divers réseaux sociaux, et Manuel Abramovich, jeune cinéaste argentin, lui propose d’interpréter son propre rôle dans des scènes écrites mais inspirées de sa vie.
Il relate cette activité désormais très commune de se mettre en scène au quotidien sur des réseaux sociaux
Toucher au plus intime
Beau et captivant, le film évoque par moments le cinéma de Tsai Ming-liang dans la raréfaction de ses dialogues, la durée de certains de ses plans fixes et sa façon de toucher au plus intime d’un sujet par la simple documentation d’états successifs de son corps. Il y a aussi du João Pedro Rodrigues dans cette figure de jeune homme seul et renfermé, qui vagabonde dans un environnement à haute teneur désirante.
Mais ce que le film a de plus précieux, c’est la précision avec laquelle il relate cette activité désormais très commune de se mettre en scène au quotidien sur des réseaux sociaux. Le soin à éditer des selfies, à choisir des filtres avant de les publier, à rédiger une légende, autant de gestes du contemporain que le film scrute avec une attention inédite au cinéma. C’est ce que le film a de plus universel. Au-delà de l’itinéraire particulier d’un travail sexuel, c’est la propension de chacun·e à se penser et s’exposer comme un produit que le film observe avec une belle acuité.
Pornomelancolia de Manuel Abramovich, avec Lalo Santos, (Ar., 2022, 1 h 34). En salle le 21 juin.
{"type":"Banniere-Basse"}