Sur fond d’après-Gatt et de centenaire du cinéma transformé du coup en grosse affaire nationale, Pierre Billard et Jean-Michel Frodon publient une monumentale histoire du cinéma français de l’avènement du parlant (1928) à nos jours. Ouvrages qui suscitent a priori un chapelet de questions suspicieuses. Joli petit coup mercantile, l’année où le cinéma est constamment […]
Sur fond d’après-Gatt et de centenaire du cinéma transformé du coup en grosse affaire nationale, Pierre Billard et Jean-Michel Frodon publient une monumentale histoire du cinéma français de l’avènement du parlant (1928) à nos jours. Ouvrages qui suscitent a priori un chapelet de questions suspicieuses. Joli petit coup mercantile, l’année où le cinéma est
constamment à la une ? Effet de monopole oligarchique sur la question Billard et Frodon sont père et fils dans le civil ? Crainte d’une lagarde-et-michardisation empesée vu le poids des pages et les positions occupées par les auteurs au sein de l’institution cinématographique nationale ? Quid du cinéma muet ? Interrogations vite envolées les deux livres sont plutôt remarquables, dans leur cadre assigné : il ne s’agit pas ici de révolution théorique, mais d’histoire relue avec point de vue critique.
Avec L’Age classique du cinéma français, Pierre Billard a donc décidé de troquer sa veste de critique pour revêtir la redingote, plus digne, de l’historien. En adoptant ce point de vue résolument neutre, il cherche principalement à rétablir une continuité chronologique, loin de toute démarche monographique ou purement analytique : le cinéma vit et se développe au rythme d’une histoire qui ne lui est pas propre, les facteurs politiques, économiques, sociaux ou plus simplement culturels agissent sur son évolution. Cette tentative de remise en contexte n’est pas si fréquente en France où l’attitude cinéphile et critique l’a souvent emporté sur la démarche historique. Mais le livre de Billard, c’est aussi et surtout une évocation rigoureuse du cinéma de 1930 à 1959. C’est, bien sûr, sur ce que l’on connaît le moins que Billard nous intéresse le plus. Ainsi, toute la partie consacrée aux premières années du parlant est passionnante. Mais Billard ne se livre pas à une entreprise de réhabilitation systématique de toutes les périodes oubliées du cinéma français. Il reste plutôt réservé sur les années 50, débuts de la cinéphilie et époque de la qualité française, même s’il tente de moduler un jugement de la critique trop sévère à son goût. Cela l’amène à attribuer une importance trop grande à un cinéma dont la médiocrité a été démontrée de manière plutôt convaincante. Deux figures tutélaires servent de fil conducteur à la chronologie de Billard : René Clair d’abord, initiateur et premier maître du cinéma français, et Jean Renoir, surtout, auquel Billard consacre quelques-unes de ses pages les plus enlevées. La richesse du livre tient donc ainsi à ses différents niveaux d’analyse et de lecture : une étude synthétique qui n’oublie aucun jalon majeur et des études plus précises de films particuliers (ainsi la rupture que constitue Toni). Assez irréprochable dans l’approche historique, jamais ennuyeux dans le décryptage des mécanismes techniques du cinéma, le travail de Billard est désormais un outil de référence sur la période.
Comme le sera L’Age moderne de Jean-Michel Frodon, de la Nouvelle Vague (1959) à aujourd’hui. Ouvrage qui nous passionne encore plus que le Billard, pour cause de proximité historique (de la période) et générationnelle (de l’auteur). Frodon est né au cinéma dans les années 60, sa cinéphilie est post-Nouvelle Vague, sa vision et son style sont évidemment plus modernes et incisifs que ceux de son papa. Mais la méthode est la même : un récit déroulant le film de l’histoire, une vision panoramique qui relie les évolutions esthétiques au contexte historique, économique, politique et social de la France. Ainsi, la rupture de la Nouvelle Vague était contemporaine de la fin de la ive République, l’explosion de mai 68 a déclenché toutes les expériences de cinéma créé, produit et distribué en marge du système, ou encore l’arrivée des socialistes et de Jack Lang au pouvoir a entraîné la vague de grandes productions d’auteurs de prestige. Ce balayage socio-historique impressionnant ne lasse jamais, parce que truffé d’inserts plus rapprochés où Frodon accentue son point de vue, laissant libre cours à ses choix, son sens critique. Ce qui nous vaut une analyse très pertinente de l’œuvre de Jean-Pierre Melville, synthèse unique de fascination américaine et d’introspection européenne, ou un compte rendu minutieux de La Nuit américaine, le film qui sépara définitivement Godard et Truffaut. Le mérite de Frodon est de ne pas être toujours là où on l’attend. Loin de se poser en thuriféraire absolutiste de la Nouvelle Vague et du cinéma indépendant, il n’hésite pas à pointer clairement certains échecs de Truffaut ou de Godard ou à cerner les impasses d’un cinéma politique qui tendait vers le non-cinéma. Frodon n’oublie pas le cinéma populaire et surprend en consacrant de longs passages au phénomène de Funès ou en réhabilitant Claude Sautet. Plutôt que de s’en tenir à des dogmes confortables, le critique du Monde part toujours de son appréciation personnelle des films. Si Frodon et Billard ne révolutionnent en rien l’appareil critique (ce n’était pas leur but et Daney demeure jusqu’à nouvel ordre notre dernier penseur en la matière), leur double somme saisit un état des lieux complet et précis de notre cinéma (ou plutôt, de nos cinémas), une histoire savoureuse parce que écrite avec la passion de la chose. Une histoire à suivre. Pierre Billard, L’Age classique du cinéma français(Flammarion), 725 p., 195 F.
Jean-Michel Frodon, L’Age moderne du cinéma français (Flammarion),
920 p., 195 F.
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