Deux adolescents s’enfoncent dans la nuit parisienne pour une virée mi-festive, mi-mélancolique. Sensuel, entêtant et diablement romantique, le premier film d’une voix singulière.
L’Âge atomique est le premier long métrage, fragile et très beau, d’une jeune femme de 32 ans, Héléna Klotz. Son sujet est l’adolescence, ses pulsions de sexe et de mort confondues, ses enthousiasmes et ses prostrations, sa grandeur et son ridicule. Son décor est Paris la nuit, ses gares, ses trains de banlieue, ses clubs souterrains, ses ponts et ses forêts voisines. Jusqu’ici, rien de très original dans l’imaginaire du cinéma français, dont on vérifie chaque semaine l’obsession intacte pour l’adolescence comme lieu de fictions et de fantasmes.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Mais quelque chose de plus singulier et d’abstrait survient dans L’Âge atomique, qui déborde du simple portrait réaliste d’une génération. Ce n’est pas tant la jeunesse d’aujourd’hui qui intéresse Héléna Klotz qu’un état immuable de celle-ci, une malédiction traversant les époques. Cet état, appelons-le mélancolie, la réalisatrice en recueille l’écume contemporaine dans une sorte de sampling qui irait de la littérature romantique jusqu’à la dépression post-punk (le film emprunte son titre à une chanson d’Elli et Jacno), dont ses personnages seraient les derniers dépositaires, condamnés à la souffrance.
Comment échapper à ce sinistre héritage, c’est la question qui occupera les protagonistes du film, Victor et Rainer (Eliott Paquet et Dominik Wojcik, inconnus, admirables), deux adolescents taciturnes et las que l’on accompagnera le temps d’une nuit de galère sur une trame instable et flottante, entre plans drague échoués, déambulations à l’aveugle et bagarres de rue. Dans un Paris irréel, presque mythique, gagné par la brume et encerclé de rails métalliques, ils passeront séparément ou ensemble par différents lieux et autant d’états émotionnels, dissertant avec une emphase trompeuse sur le sexe, le sens de la vie, la poésie et la médiocrité de tout ce qui n’est pas eux.
L’Âge atomique est d’abord le récit drôle et jubilatoire de cette arrogance de la jeunesse, son lyrisme crâneur et sa radicalité incertaine, saisis sous les lumières artificielles des clubs le temps d’une très belle séquence de montée d’ivresse qui installe le film dans une humeur sensuelle et magnétique, tout en ralentis langoureux et pulsations cold-wave. Puis vient la descente : la BO se fait plus discordante, hypnotique ; Victor et Rainer basculent dans l’ombre mélancolique, aspirés par un flux violent de tristesse qui ne se raconte pas, ou mal (ils tenteront par deux fois, dans des scènes déchirantes, de confesser leur douleur d’être au monde, leur sentiment d’incomplétude).
Le film lui-même semble attiré par une force obscure tandis qu’il s’écarte de tout réalisme pour emprunter les sentiers d’un romantisme noir, évoquant Jean-Paul Civeyrac, et d’un fantastique primitif, hyperstylisé. C’est la grande force de ce jeune cinéma sans gêne et aventureux, qui n’hésite pas à frayer dans les eaux du bis ou à croiser les imaginaires pour inventer sa propre langue : des fantômes apparaissent sur le quai d’une gare, des succubes troublent les rêves, la ville devient un décor de la Hammer, Rainer ressemble désormais à un vampire sevré de sang (peut-être celui de Victor, auquel il semble lié par une relation équivoque faite de désirs secrets et de pulsions carnassières).
Sous les effets répétés de ces visions psychotropes à la beauté tranchante, qui révèlent un sens de la mise en scène étourdissant, L’Âge atomique chemine vers une superbe séquence dans une forêt de conte où, loin de la rumeur du monde, les deux adolescents s’avoueront enfin leur secret avant de regagner le jour. Ce secret, qui est aussi sûrement celui d’Héléna Klotz, c’est un fougueux et obstiné désir de vie, malgré la mélancolie et le chagrin ; c’est une manière de rester debout au milieu des ruines, ainsi que le chantaient déjà Elli et Jacno en 1980 : “On dit que tout va sauter/ Oui, ça nous fait rigoler”.
{"type":"Banniere-Basse"}