Les affiches du film « L’Inconnu du lac », qui sort en salles ce mercredi, ont été retirées à Versailles et Saint-Cloud. Un acte que le réalisateur Alain Guiraudie qualifie d’ »homophobie ordinaire ».
C’est une affiche colorée, dessinée dans un style naïf, sur laquelle deux hommes s’embrassent. A l’arrière-plan, on distingue vaguement d’autres hommes, nus, dont l’un la tête entre les jambes d’un autre. Réalisée par l’artiste français Tom de Pékin, l’affiche de L’Inconnu du lac, thriller torride d’Alain Guiraudie qui sort en salles ce mercredi, n’a pas du tout plu à Versailles et Saint-Cloud, où elle a été retirée. Lundi, le distributeur Les Films du Losange tweetait:
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Que s’est-il passé ? Mystère et boule de gomme. Personne ne décroche au service de presse de Versailles, et du côté de la mairie de Saint-Cloud, on nous assure que notre demande « a été transmise », sans plus de précisions. Pas plus de résultats du côté de l’Assemblée nationale (le maire de Versailles François de Mazières est également député des Yvelines). Contacté par Rue89 lundi, JCDecaux explique avoir procédé au retrait des affiches suite à la demande des deux municipalités, ce que confirme Saint-Cloud, qui explique avoir reçu « des plaintes de Clodoaldiens ». La mairie de Versailles, elle, dément, rejetant la faute sur la société d’affichage.
On ne saura donc pas si le fait que le retrait de ces affiches tombe en plein conflit sur la loi d’ouverture du mariage n’est que pure coïncidence ou non. Rappelons, tout de même, que le maire de Saint-Cloud, Eric Berdoati, est UMP, et celui de Versailles, François de Mazières, apparenté UMP et opposant déclaré à la loi sur le mariage pour tous. Comme il le racontait à Libération fin mai, il a participé à des manifestations contre le projet de loi. « C’est une conviction personnelle, profonde » expliquait-il alors.
Versailles – où Nicolas Sarkozy a recueilli près de 67% des votes au second tour de la présidentielle l’année dernière – est, depuis ces derniers mois, un des bastions des opposants au mariage pour tous. C’est dans cette municipalité que toutes les semaines, des militants réactionnaires regroupés sous le nom de « Veilleurs » organisent des soirées-prières contre le mariage gay.
« Un acte de censure »
Contacté par téléphone, le réalisateur Alain Guiraudie qualifie ce retrait de « lamentable » et y voit « de l’homophobie ordinaire« . « Il y a une volonté d’élever des enfants dans un cocon. Mais pour les protéger de quoi ? De l’homosexualité? Ce n’est pas une maladie » s’insurge-t-il, avant de dresser un parallèle entre cette affaire et le le climat actuel:
« Il y a une homophobie qui n’est plus si latente que ça. Il y a quelque chose qui pue là quand même. Quelque chose se tend dans notre société entre réactionnaires et progressistes. »
Le réalisateur n’envisage cependant pas d’action en justice. « Je n’ai pas envie d’envenimer la polémique. Je n’agis que verbalement. Et puis c’est seulement Versailles et Saint-Cloud, ça va quoi! Il y a des trucs plus graves, comme la mort de Clément Méric« .
Le distributeur du film, Les films du losange, ne compte pas non plus porter l’affaire en justice. « On n’avait pas prévu de sortir le film à Versailles et Saint-Cloud. C’est Decaux qui nous a rajouté cet affichage en plus. Pour nous, ce ne sont que dix affiches. C’est un épiphénomène! »
Un « épiphénomène » sur lequel s’est exprimée Aurélie Filippetti aujourd’hui dans un communiqué de presse. Elle y déclare voir dans le retrait des affiches « un acte de censure qui porte atteinte à la liberté de la communication et d’expression« , et assure que l’affiche « ne présente pas les risques pour l’ordre public qui pourraient justifier des mesures de restrictions par les autorités compétentes« . « Cette atteinte est d’autant plus surprenante que l’affiche a été reproduite dans la plupart des médias alors que le film était dans sa phase promotionnelle en vue de sa programmation au festival de Cannes » rappelle-t-elle également.
Un kiss-in à Saint-Cloud
Concernant les associations de lutte contre l’homophobie, une petite mise au point s’impose. Une dépêche AFP publiée aujourd’hui annonçait l’organisation d’un kiss-in sur le parvis de l’hôtel de ville de Saint-Cloud mercredi à 19h par SOS Homophobie et le festival Chéris Chéries. Contactés par téléphone, l’association et le festival démentent tous deux être à l’initiative de cette action, mais n’en condamnent pas moins le retrait des affiches. Elisabeth Ronzier, présidente de SOS Homophobie, explique: « je comprendrais l’argument [de protection de l’enfance] si d’autres affiches étaient retirées, comme certaines qui heurtent la sensibilité de la femme par exemple. Je pense que ça trahit autre chose qu’une volonté de protection« .
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