Un village belge, une ode à la démocratie russe, une levée de boucliers, deux éléphantes, un risque de contagion de la tuberculose, une rencontre sur les bords de la Mer Noire… Retour sur une affaire qui ne cesse d’agiter l’Hexagone.
1- Googoosha et la maison à Néchin
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Début décembre, on apprend que Gérard Depardieu a enregistré un duo avec Gulnara Karimova, alias Googoosha, fille du peu fréquentable président ousbek Islam Karimov, régulièrement critiqué par les défenseurs des droits de l’homme. Le 9, on découvre Néchin, petite bourgade belge, où notre Gégé national a, apparemment, élu domicile. L’information est confirmée et relayée par le bourgmestre de la commune d’Estampuis. Quelques jours plus tard, on bave devant les photos de son hôtel particulier, qu’il a mis en vente.
2- Le « minable » et le JDD
Le 12, Jean-Marc Ayrault qualifie ce départ d' »assez minable ». « Payer un impôt, c’est un acte de solidarité, c’est un acte patriotique« , explique-t-il. Le mot « minable » fait aussitôt bondir le sanguin Depardieu, qui répond par un « Minable, vous avez dit ‘minable’ ? Comme c’est minable » (très Cyrano de Bergerac) dans une lettre ouverte au Premier ministre publiée dans les colonnes du JDD. Il y justifie sa décision de s’exiler outre-Quiévrain en expliquant : « Je pars parce que vous considérez que le succès, la création, le talent, en fait, la différence, doivent être sanctionnés« . Il y assure avoir payé 85% d’impôts sur ses revenus en 2012 et 145 millions d’impôts en quarante-cinq ans et déclare : « je vous rends mon passeport et ma Sécurité sociale, dont je ne me suis jamais servi. Nous n’avons plus la même patrie, je suis un vrai Européen, un citoyen du monde, comme mon père me l’a toujours inculqué« .
Deux jours plus tard, lors d’un déplacement à Clermont-Ferrand, Jean-Marc Ayrault rappelle qu’il n’a pas traité Gérard Depardieu mais son comportement d’exilé fiscal de « minable ».
3- Le coup de gueule de Philippe Torreton
Le 18 décembre, l’acteur Philippe Torreton remet de l’huile sur le feu en signant une tribune à charge intitulée « Alors Gérard, t’as les boules ? » dans Libération. Le comédien, qui s’est engagé à plusieurs reprises en politique, n’y mâche pas ses mots. Il dégaine un « tu en appelles à tes gentils potes de droite pour que le grand méchant de gauche arrête de t’embêter… » avant d’asséner : « tu votes pour qui tu veux, et tu fais ce que tu veux d’ailleurs, mais ferme-la, prends ton oseille et tire-toi, ne demande pas le respect, pas toi ! »
4- La levée de boucliers
Quatre jours après la parution de la tribune de Torreton, c’est la grande Catherine Deneuve qui prend la plume pour défendre Depardieu, là aussi dans les colonnes de Libération. Elle précise : « ce n’est pas tant Gérard Depardieu que je viens défendre, mais plutôt vous que je voudrais interroger. Vous en prendre à son physique ! A son talent ! Ce gâchis dont vous parlez… De quel droit, de quel souci démocratique semblez-vous animer votre vindicte salissante ? » Pour elle, « l’homme est sombre, mais l’acteur est immense » et Torreton n’exprime que « sa rancœur« .
Plusieurs acteurs et réalisateurs suivent l’exemple de Deneuve. Claude Lelouch dénonce ainsi un « lynchage honteux« tandis que Jamel Debbouze avoue qu’il « est d’accord avec la liberté [de Depardieu] », même si lui ne quitterait jamais la France : « On a tellement galéré pour venir en France! » Fabriche Luchini déclare à Sud-Ouest : « Depardieu, c’est un ami. Et je ne juge pas mes amis« . « Quand on attaque Depardieu, il faut avoir une filmographie solide« , car « c’est suicidaire de se confronter à un monument du cinéma« .
Pour Xavier Giannoli (auteur de Quand j’étais chanteur) : « Aujourd’hui, Depardieu est livré à la vindicte et au bûcher, c’est tellement dégueulasse! C’est la stratégie du bouc émissaire« . Pascal Thomas, lui, tance Torreton en lâchant : « Pour parler avec la même vulgarité que lui, je trouve que Torreton suce la roue du Parti socialiste! Ce sont les roquets qui s’attaquent aux grands fauves ! »
D’autres se moquent de Torreton sur Twitter comme Gad Elmaleh :
Du côté des pro-Torreton, on trouve Magyd Cherfi du groupe Zebda, qui adresse une lettre de remerciement à l’acteur, dans laquelle il écrit : « j’attendais désespérément la voix d’un humaniste quelconque pour dire sans détours à notre Gégé–Germinal toute l’horreur qu’inspire son égoïsme sans nom. Merci ! » Le premier secrétaire du PS, Harlem Désir, lui envoie, lui, ses amitiés via Twitter.
5- La proposition de Yann Galut
Le départ de Depardieu repose la question de l’exil fiscal et de ses conséquences pour les finances de la France. Le modèle américain est remis sur la table, notamment par le député du Cher Yann Galut. Il propose, dans un communiqué de presse, que les ressortissants français vivant à l’étranger soient imposés, en précisant que « faute de règlement du différentiel entre les impôts du pays qui les accueille et les impôts qu’ils auraient acquitté en France, ces exilés fiscaux se verraient obliger de renoncer à leur nationalité française« . Galut est missionné pour conduire un groupe de travail sur l’exil fiscal à l’Assemblée nationale.
6- Depardieu, Russe ?
Mais comment fait-on pour ne plus être français ? On consulte le mode d’emploi de la perte de nationalité sur le site de l’administration française, qui nous apprend qu’il faut au préalable acquérir une autre nationalité. Le 20 décembre, Vladimir Poutine assure à Gérard Depardieu être prêt à lui offrir un passeport russe. Ni une ni deux, l’acteur en fait la demande. Le 3 janvier, Poutine signe un décret qui lui accorde la nationalité russe. Ravi, Depardieu rédige une lettre de remerciement, dans laquelle il raconte avoir expliqué à François Hollande que « (…) la Russie était une grande démocratie, et que ce n’était pas un pays où un Premier ministre traitait un citoyen de minable« .
7- La Russie : « une grande démocratie« , selon Depardieu
Son éloge de la démocratie russe reste en travers de la gorge de plus d’une personne. L’écrivain et opposant à Poutine Edouard Limonov lui lance une invitation : « Gérard, le 31 janvier, viens nous rejoindre, avec ton passeport russe tout neuf en poche, place du Triomphe ! Tous les 31, à partir de 18 heures, sur cette place, les citoyens russes manifestent pour la liberté de réunion, en référence à l’article 31 de la Constitution de la Fédération de Russie dont nous réclamons ainsi le respect effectif ».
Dans le même temps, les écologistes demandent à ce que les Pussy Riot soient faites citoyennes d’honneur de la Ville de Paris. Selon EELV :
« Les basses œuvres de Vladimir Poutine dépassent désormais les mesures autoritaires menées à l’encontre de son propre peuple : en accordant la nationalité russe à Gérard Depardieu, [il] s’en prend indirectement à la solidarité française et renouvelle son attachement décomplexé à l’argent. Il honore aussi l’acteur français après son soutien déplorable au président tchétchène Ramzan Kadyrov ou sa proximité affichée avec la fille du dictateur ouzbek Islam Karimov. »
8- Prendre la nationalité russe : une nouvelle mode ?
L’affaire prend un tour encore plus irréel lorsque Brigitte Bardot menace, dans un communiqué, d’acquérir à son tour la nationalité russe pour sauver deux éléphantes du cirque Pinder atteintes de tuberculose et qui doivent être euthanasiées. Elle y qualifie la France de « cimetière pour animaux« . Le 5 janvier, elle s’emporte dans un entretien publié dans les quotidiens de Nice-Matin : « Je suis très sérieuse. J’en ai plein le c… Ras-le-bol ! Je ne supporte plus ce pays« . Elle y dévoile, également, son admiration pour Vladimir Poutine :
« Je lui trouve beaucoup d’humanité. A chaque fois que je lui demande quelque chose, en principe, il me l’accorde. Il a fait plus pour la protection animale que tous nos présidents successifs. Et puis là-bas, il n’ont pas l’Aïd-el-Kébir… »
D’après Le Lab d’Europe 1, l’Elysée a bien reçu la lettre que lui a adressée Bardot mais François Hollande ne l’a pas encore lue.
Pendant ce temps là, les twittos s’amusent comme des petits fous avec le hashtag #Jedemandelanationalitérusse. Même GreenPeace France s’y met:
9- Le scandale dans le scandale : « les acteurs français sont-ils trop payés ? »
L’affaire Depardieu finit par déboucher sur une autre affaire : celle des acteurs français « trop payés », comme l’affirme Vincent Maraval, producteur, distributeur et fondateur de la société de distribution Wild Bunch dans une tribune publiée dans Le Monde. Pour lui, l’affaire Depardieu cache « un scandale d’ordre plus général » : celui de l’exception culturelle française.
« Les acteurs français sont riches de l’argent public et du système qui protège l’exception culturelle« , explique-t-il, « à part une vingtaine d’acteurs aux Etats-Unis et un ou deux en Chine, le salaire de nos stars, et encore plus le salaire de nos moins stars, constitue la vraie exception culturelle aujourd’hui. »
Vincent Maraval met le doigt là où ça fait mal, dévoilant les montants de certains cachets, dressant des comparaisons, nommant des acteurs. « Est-ce à l’individu qu’il revient de ‘réguler’ le système sous peine d’être jeté à la vindicte publique comme Gérard Depardieu ou est-ce au CNC et à son ministère de tutelle de le faire ? » interroge-t-il, déclenchant une levée de boucliers.
Sur son blog, le directeur de la Cinémathèque française, Serge Toubiana, qualifie le raisonnement de Vincent Maraval de « limité » et se demande pourquoi il ne fait pas mention du cachet des producteurs. Mais Toubiana s’inquiète surtout des conséquences dramatiques que peut avoir une telle tribune, notamment auprès de la Commission européenne : « comment, après un tel article, aller plaider la cause de l’exception culturelle devant la Commission de Bruxelles, toujours prompte à rabattre le cinéma sur une économie libérale dépourvue de tout système de protection et d’incitation ? » Vincent Maraval persiste et signe en lui répondant à son tour dans les commentaires.
Le 4 janvier, c’est Philippe Lioret qui se jette dans la bataille en signant une tribune là aussi dans Le Monde. Cité dans l’article de Maraval comme un réalisateur français qui « touche deux fois plus que Steven Soderbergh« , Lioret se défend en ouvrant son livre de compte, et en déclarant toucher environ 5500 euros bruts par mois, « une somme rondelette, soit, mais (…) certainement bien inférieure au salaire mensuel de M. Maraval (…) ». Pour finir, Lioret affirme ne pas percevoir de subventions publiques, et revient sur l’argent des chaînes publiques en expliquant : « et quand la chaîne en clair fait partie du service public, celle-ci divise son apport en deux : un préachat pour une diffusion à l’antenne (sans risque, donc), et une coproduction dont elle touche les remontées financières quand le film marche« .
Le 6 janvier, Dany Boon sort de sa réserve et assure au Journal du dimanche que les chiffres avancés par Vincent Maraval dans sa tribune « sont complètement faux« . Il n’aurait pas touché un million mais 600 000 euros pour le dernier Astérix, et ne touchera « que » 2 millions d’euros et non dix pour tourner dans son prochain film, Supercondriaque. Par ailleurs, l’acteur et réalisateur affirme que ses deux derniers films (Bienvenue chez les ch’tis et Rien à déclarer) ont rapporté 15 millions d’euros au CNC (Centre national du cinéma), qui prélève un pourcentage sur chaque billet d’entrée afin de cofinancer des films.
10- Depardieu appelle Hollande puis s’envole pour la Russie
Selon Le Figaro, Depardieu et Hollande s’entretiennent au téléphone le 1er janvier. Rien ne filtre, ou presque. D’après l’agent de l’acteur, ils auraient parlé exil fiscal et poésie.
Le 5 janvier, l’acteur débarque à Sotchi, sur les bords de la Mer Noire, où il rencontre Poutine qui lui remet son passeport. Depardieu est donc désormais de nationalité franco-russe. Le 6, il se rend en Mordovie pour recevoir un appartement ou une maison. C’est là qu’une des deux Pussy Riot, condamnée à deux ans de camp, purge sa peine.
11- Un détour par le Monténégro, sans passage par la case justice
Le 8 janvier, Depardieu s’envole pour le Monténégro où il est reçu par le Premier ministre, Milo Djukanovic, qui lui propose de devenir l’ambassadeur culturel du pays.
Une visite qui coïncide avec le jour de sa convocation au tribunal de justice de Paris, suite à son arrestation pour conduite en état d’ivresse sur son scooter en novembre dernier. L’acteur, absent de son procès, en profite pour donner sa version des faits : « Je ne suis pas un criminel, j’ai glissé sur mon scooter, je me suis endormi, voilà tout. Vous savez… avoir un petit peu d’alcool dans le sang, si je prends une salade un peu trop vinaigrée je dépasse déjà la limite ! »
12- Permis belge contre vin d’Anjou
Le 10 janvier, le journal Nord-Eclair révèle que Gérard Depardieu a obtenu son permis de conduire belge au siège de l’administration communale d’Estaimpuis dont dépend Néchin où il vient d’acquérir une propriété. Il pourrait ainsi contourner une éventuelle décision de la justice française sur la suspension de son permis. D’après le quotidien, il est venu avec des bouteilles de vin de son domaine d’Anjou.
13- De l’autre côté de l’Atlantique…
L’affaire Depardieu a de l’écho jusqu’au États-Unis. Le comédien Sacha Baron Cohen (Borat) en profite pour faire de l’humour sur son « friend Gérard Depardieu » lors de la cérémonie des Goldens Globes.
http://youtu.be/TbtWdIMYlM0
14- Critique des Pussy Riot : une dernière pour la route
Gérard Depardieu se lâche sur l’opposition russe et les Pussy Riot, lors d’une interview pour une la chaine publique russe donnée depuis Bakou, en Azerbaïdjan, où il participe à un documentaire sur Alexandre Dumas et le Caucase.
http://youtu.be/6L53BUati9Q
15- Retour en Mordovie
Dans une lettre diffusée sur le site du gouvernement de Mordovie, le 15 janvier, dont une partie a été traduite par l’AFP, l’acteur explique avoir hâte de retourner dans cette région pour ressentir « l’âme russe » et « l’esprit de liberté« .
« J’ai très envie de me rendre à nouveau en Mordovie, je veux m’asseoir sur les bords d’un lac avec une canne à pêche, prendre du poisson, me promener dans les forêts de bouleaux. J’adore cet arbre. En lui, on trouve la poésie russe. »
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