Episode sous-estimé du grand film de 68, l’affaire de la Cinémathèque française servit pourtant de répétition générale et de déclencheur aux événements de mai. Face à l’autoritarisme et à la maladresse d’un pouvoir devenu aveugle et sourd, les enfants de la Cinémathèque feront plier Malraux et porteront le premier coup au régime gaulliste. Le plus déterminé de ces révoltés de février 68 s’appelait François Truffaut, qui prit les armes pour défendre le père et l’âme de la Cinémathèque, Henri Langlois, symbole de l’individualisme au service de l’art. Les archives de Truffaut sont ici publiées pour la première fois.
Mai 68 n’a commencé ni en mars ni en mai, mais le vendredi 9 février à 10 h du matin. Ce jour-là avait lieu la réunion du conseil d’administration de la Cinémathèque française au 82, rue de Courcelles, Paris viiie. A l’ordre du jour, en plus de l’élection des membres du bureau de l’association, la désignation du directeur artistique et technique et du directeur administratif et financier. Cette réunion allait marquer le début de « l’affaire Langlois », la première défaite du pouvoir gaulliste.
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Jusque-là, les rues de Paris ne résonnaient que de slogans hostiles à la guerre du Vietnam, la politique culturelle du régime n’était pas globalement remise en cause. Malgré l’affaire de l’interdiction de La Religieuse de Rivette, le prestige de Malraux l’homme des Maisons de la culture et du « musée imaginaire » restait immense. Mais en tentant de se débarrasser d’Henri Langlois, le ministre des Affaires culturelles du général de Gaulle commettait une erreur lourde de conséquences. Tout était en place pour une répétition générale, Malraux avait mis le feu aux poudres, « l’affaire Langlois » sera la bande-annonce des événements de mai.
Depuis sa fondation, en 1936, la Cinémathèque française, c’était Henri Langlois, « le dragon qui veille sur nos trésors » selon l’expression de Cocteau, « un homme obsédé, un homme animé par une idée fixe, un homme hanté », écrivait François Truffaut. Quelle était cette idée fixe ? Sauver les films de la destruction, les préserver des outrages du temps et des marchands afin de les transmettre, de les montrer à ceux qui deviendront les cinéastes de demain, pour qu’ils s’en nourrissent. Langlois devint ainsi le parrain de la Nouvelle Vague. Pour reprendre le mot de Serge Daney, bien galvaudé depuis sa mort, Langlois fut le plus grand « passeur » de toute l’histoire du cinéma, le passeur absolu. « Comme tous les hommes hantés, Henri Langlois divisait le monde, les gens, les événements en deux blocs : 1. Ce qui est bon pour la Cinémathèque 2. Ce qui n’est pas bon pour la Cinémathèque. Même si vous le fréquentiez depuis dix ans, il ne perdait pas de temps à vous demander des nouvelles de votre santé ou de votre famille car les notions mêmes de santé et de famille ne pouvaient se rapporter qu’à la santé de la Cinémathèque, la famille de la Cinémathèque. Cela ne l’empêchait pas d’être chaleureux, pourvu qu’on accepte de monter en marche dans le train de sa conversation, qui était plus exactement un monologue autour d’un complot dont il ne se souciait pas qu’on en ignorât les données. Par exemple : « Bonjour Henri, ça va ? Ça va très mal. La Rue de Valois veut annuler l’assemblée du 17 mars à cause des procurations, mais j’ai répondu au contrôleur Pasquet que, si le ministère tenait pour rien les résolutions du 23 juillet, je convoquerais les membres de la sous-commission pour leur lire le rapport Novak de la FIAF consécutif à la résolution 35 bis du Manifeste de Locarno, et puis j’ai chargé Viktor de dire à Bascafe qu’on ne me fera pas le 11 mars le coup du 29 avril », rapportait Truffaut, en se moquant respectueusement de la paranoïa légendaire et de l’obsession du complot de celui qu’il décrivait non comme un film-maker mais comme un génial screening-maker.
Langlois était superstitieux (il adorait se faire tirer les cartes par des voyantes, « seules capables selon lui de prédire ce que serait le destin de la Cinémathèque », ajoute Truffaut), Langlois était paranoïaque (il prétendait que la Cinémathèque était infestée d’espions à la solde du Vatican !), mais Langlois n’était pas fou. Il savait que les temps héroïques et solitaires étaient terminés. Et que la richesse et le prestige international de sa Cinémathèque excitaient les convoitises de l’Etat. En échange de son soutien constant, de l’obtention de la magnifique salle du palais de Chaillot et d’une participation financière de l’Etat de plus en plus importante, Malraux avait obtenu de Langlois (les deux hommes se connaissaient et s’estimaient, Malraux était redevable à Langlois d’avoir sauvé L’Espoir) que ses représentants entrent au conseil d’administration et qu’un directeur administratif et financier « sérieux » et « sûr » puisse rationaliser une gestion jugée « anarchique ». Car si Malraux reconnaissait le génie poétique de Langlois et si Pompidou avait fréquenté la Cinémathèque du temps de l’avenue de Messine, le ministre des Finances, un certain Michel Debré, ne l’entendait pas de cette oreille et acceptait mal que la Cinémathèque échappe au contrôle de ses sbires tatillons.
Quelques jours avant la réunion fatidique du 9 février 68, Malraux avait longuement expliqué aux envoyés de Langlois qu’il devait laisser l’Etat devenir majoritaire au conseil d’administration pour préserver l’essentiel et calmer ainsi les ardeurs de Debré qui avait coupé toutes les subventions jusqu’à la « réorganisation » complète de la Cinémathèque. Mais Malraux ne tiendra pas parole. Peut-être parce qu’il subissait la mauvaise influence des hauts fonctionnaires du CNC, qui rêvaient de mettre la main sur la Cinémathèque. Surtout, il était très loin d’imaginer que le renvoi de Langlois allait provoquer une telle tempête. Il avait tort.
Après une discussion houleuse, le départ d’un Truffaut scandalisé devant de tels procédés et le refus de voter des amis de Langlois, celui-ci ne retrouve pas son poste de directeur artistique et technique. On le confie à un dénommé Pierre Barbin, déjà directeur des influents Festivals de Tours (courts métrages) et d’Annecy (cinéma d’animation). Selon des témoignages concordants, ce Barbin était barbu, pas mauvais bougre, mais assez ambitieux pour croire que son heure était venue, qu’il allait pouvoir succéder sans trop de heurts à un homme de l’envergure de Langlois, en cantonnant celui-ci dans des tâches honorifiques mal définies. Mais depuis le temps qu’il soupçonnait de multiples complots, Langlois avait vu venir le coup. Alors que Truffaut avait commencé le tournage de Baisers volés le lundi précédent, Langlois avait insisté pour qu’il soit présent à la réunion de ce vendredi noir. Et il est bouleversé par la violente réaction de son disciple : « Je vous embrasse. Je vous vois encore vous dresser au Conseil, partir… je ne l’oublierai jamais » (lettre du 26 février 68).
Dès la fin de la réunion, Barbin ne perd pas de temps, Truffaut non plus. Le premier fait changer les serrures des bureaux, distribue au personnel leur lettre de licenciement (une lettre-type datée du 9 février et tapée sur un papier à l’en-tête de la Cinémathèque, mais différent de celui utilisé d’habitude, ce qui renforce la thèse du complot et du coup préparé bien à l’avance) et prend possession des lieux ; le second commence à remuer ciel et terre pour soutenir Langlois. Le 11, il écrit à Rossellini : « Le remplaçant de Langlois, Pierre Barbin, est tellement minable et Langlois tellement apprécié que nous pensons tous que la lutte risque d’aboutir même si, pour continuer, la Cinémathèque de Langlois doit se priver des subventions de l’Etat. »
« Scandale à la Cinémathèque : le révoltant limogeage d’Henri Langlois » : ainsi titrait Henry Chapier dans Combat le lendemain de la réunion fatidique. C’est le début d’une violente campagne de presse, où Malraux est en ligne de mire. Toujours modéré, Le Monde parle de « décision surprenante ». Mais Jean de Baroncelli conclut son article par ces mots : « Ce ne sont ni les bons comptables ni les bons gérants qui manquent en France. Mais il n’y avait qu’un Henri Langlois. Allons-nous admettre qu’on nous le prenne ? » Le lendemain, Le Monde publie une première pétition signée par quarante cinéastes français, d’Abel Gance à Jean Eustache. Ce n’est qu’un début. Les bureaux des Cahiers du cinéma se transforment en quartier général et des centaines de coups de téléphone et de télégrammes partent dans le monde entier. André S. Labarthe se souvient d’une mobilisation frénétique, de jour comme de nuit. Pendant ce temps, Langlois semble avoir disparu de la circulation.
Maître tacticien dans l’art de gérer les crises et grand partisan de la mise en scène invisible, il a vite compris qu’il lui fallait s’effacer et laisser agir ses jeunes amis. On ne l’entendra ni le reverra durant toute l’affaire. Reclus dans son appartement de la rue Gazan, il est pendu au téléphone, fait des réussites, se gave de confiture de rose, convoque des voyantes et trouve l’arme suprême pour faire échec au complot gaulliste : le retrait des films par leurs déposants.
Bâtie sur une relation de gratitude et d’admiration réciproques entre Langlois, les cinéastes et les producteurs, la Cinémathèque fonctionnait sur le système du dépôt des copies. Langlois pouvait les projeter sans payer de droits, mais elles restaient la propriété de ceux qui lui faisaient confiance. Et une grande partie des collections de la Cinémathèque n’appartenait qu’à Langlois lui-même, collectionneur compulsif et chiffonnier éclairé, et certainement pas à l’Etat qui n’a pris conscience que très tard de la nécessité de constituer des archives cinématographiques. Malraux venait donc de commettre un vol pur et simple. Les Américains, en particulier, sont infiniment reconnaissants à Langlois d’avoir protégé leurs films pendant la guerre et d’avoir conservé des uvres qui n’existeraient plus sans son intervention. Ils veulent bien que leurs copies restent chez Langlois, mais pas chez de Gaulle. Pensant profiter du vieux réflexe anti-américain, le CNC songe à instaurer un dépôt légal qui obligerait les studios américains à donner systématiquement une copie de tous les films exploités en France. La réaction ne se fait pas attendre : les majors américaines menacent de récupérer tous leurs dépôts. A titre individuel, les cinéastes du monde entier interdisent la programmation de leurs films à la Cinémathèque et brandissent la même menace de retrait. Malraux et le CNC accusaient Langlois de mal conserver les films ; sans Langlois, il n’y aura plus de films du tout. Pour Malraux, cette affaire commence à sentir le roussi. Le prestige de la France dans le monde, un concept cher au Général, est sérieusement atteint.
Le 12 février, les partisans de Langlois se réunissent devant la salle de la rue d’Ulm et déconseillent gentiment mais fermement aux spectateurs d’assister aux séances. Sept personnes entrent quand même pour la séance de 18 h 30. Michel Simon arrive, s’assoit sur une chaise devant la porte et exprime son indignation effet garanti. Chabrol déclare aux journalistes : « Ce sera une guerre totale. Et nous sommes sûrs de la gagner. » Combat titre : « Le mythe Malraux a assez duré. »
Le 14 février, c’est « la journée des matraques ». A l’appel des « Enfants de la Cinémathèque », trois mille personnes se regroupent sur l’esplanade du Trocadéro et se dirigent vers la salle. La police bloque l’accès par les jardins, Godard réussit à franchir l’obstacle mais il se retrouve tout seul derrière le barrage, les policiers le laissent repartir. Les manifestants contournent alors le bâtiment et tentent de passer par l’avenue Albert-de-Mun. Les flics chargent, le sang coule, on soigne Truffaut sous un porche, Tavernier a le visage en sang, Godard perd ses lunettes avant de donner le signal de la dispersion. Le lendemain, l’AFP prétend que les manifestants étaient « badigeonnés de mercurochrome ». « L’affaire Langlois » tourne à la révolte contre l’autoritarisme des pouvoirs publics : c’est le poète contre le ministre. Et le ministre ex-poète n’est pas content du tout de la tournure que prennent les événements. Il engueule le préfet de police pour ne pas avoir su tenir ses hommes.
Le 15, conférence de presse du Comité de défense de la Cinémathèque. A la tribune, Rouch, Godard et Rivette encadrent Jean Renoir (président d’honneur du Comité). Truffaut (trésorier) est excusé, il finit un plan de Baisers volés. Dans la salle, parmi beaucoup d’autres, on reconnaît Nicholas Ray, Marcel Carné, Simone Signoret, Michel Piccoli et Jacques Prévert. Les arguments anti-Langlois de Malraux et du CNC sont mis en pièces avec force détails. Signoret témoigne : « La première fois que j’ai vu Le Cuirassé Potemkine, c’était en 41, rue Troyon, dans la salle à manger de la mère de Langlois, et tous les films soviétiques ou les films de Renoir qui étaient interdits sous l’Occupation, les films de Prévert, bref, les seuls beaux films que j’ai vus durant cette période m’ont été projetés par Langlois qui baladait les bobines dans le métro, ce qui a l’air rigolo aujourd’hui mais qui, à l’époque, représentait un danger. » Ray affirme : « Le travail de la Cinémathèque française a été peut-être l’effort individuel le plus important jamais accompli dans l’histoire du cinéma. » Rouch conclut : « Une révolution culturelle est en train de commencer. »
Malraux comprend qu’il est temps de négocier discrètement après avoir à peu près tout essayé pour calmer les esprits (même une visite truquée des entrepôts de la Cinémathèque, avec exposition à la presse de boîtes rouillées et de films en décomposition) et compté ses rares soutiens (Langlois avait quand même quelques ennemis). Ses hommes de main acceptent la convocation d’une assemblée générale extraordinaire pour le 22 avril. D’autant plus que l’affaire devient de plus en plus politique : s’en mêlent même Mendès France et Mitterrand à qui Truffaut écrit le 26 mars, pour le remercier d’être intervenu à l’Assemblée nationale et lui demander de parler encore de Langlois lors d’un débat télévisé. Alors que quelques semaines plus tôt, en février, un mot sans doute apocryphe du général de Gaulle avait fait fureur auprès des cinéphiles parisiens : « Mais qui est donc ce monsieur Langlois ? »
Pendant que les télégrammes de protestation continuent d’affluer et que la presse maintient la pression (Paris-Jour titrant même « B. B. s’en va-t-en guerre pour Langlois » !), une seconde manifestation est organisée le 18 mars à 18 h, devant le siège de la Cinémathèque, rue de Courcelles. Cette fois-ci, c’est Jean Marais qui prend la tête des troupes en brandissant un portrait de Langlois. Le « vieux cinéma » et les ex-« jeunes turcs » de la Nouvelle Vague sont unis derrière « le poète assassiné » (Henri Jeanson). Cette fois-ci, on ne se bat pas. Mais les bureaux de la « Barbinthèque » sont envahis par des étudiants qui brisent les vitres. Truffaut se souviendra plus tard d’un jeune homme roux qui donnait des consignes avec beaucoup de calme et d’autorité. Un étudiant avait été embarqué et, ne sachant que faire, les « Enfants de la Cinémathèque » allaient se disperser quand ce rouquin inconnu leur expliqua qu’il n’en était pas question, qu’il fallait obtenir coûte que coûte la libération immédiate du prisonnier. Chabrol fut envoyé parlementer avec le commissaire et revint avec le jeune homme : Daniel Cohn-Bendit venait de démontrer son savoir-faire « Il était électrique », témoigne Labarthe.
La cause est entendue, Malraux est contraint de reculer : « l’affaire Langlois » n’a que trop duré et a fait couler beaucoup trop d’encre (plus quelques gouttes de sang). Le 22 avril, l’assemblée générale décide que la Cinémathèque s’affranchit de la tutelle de l’Etat qui coupe ses subventions mais apure les dettes et laisse à Langlois la salle de Chaillot. Henri Langlois retrouve ses fonctions et sa maison. Il sort enfin de l’ombre et savoure son triomphe. Le 26 avril, il écrit à Truffaut (nommé vice-président) : « Vous ne pouvez imaginer dans quel état j’ai trouvé la rue de Courcelles. A première vue, on a l’impression d’un régiment d’infanterie coloniale installé dans un immeuble réquisitionné. Comme le disait un journaliste, on a l’impression d’être dans une gare quelque part en Pologne. Tel est le cadavre de Barbin à la Cinémathèque française. »
Le 2 mai, Langlois rouvre la salle de la rue d’Ulm (Barbin avait interrompu les projections pendant « l’affaire », aussi bien à Chaillot qu’à Ulm), reçoit une ovation et déclare, égal à lui-même : « Eisenstein aurait pu régler la mise en scène de vos manifestations, puisque vous avez joué d’abord Potemkine sur les marches du palais de Chaillot et Octobre rue de Courcelles. » Langlois oblige Truffaut à se lever : « Voici l’homme qui a sauvé la Cinémathèque ! » Au micro de RTL, Truffaut fait un juste résumé de la situation : « La Cinémathèque est pauvre mais libre. » Baisers volés sort en salles le 4 septembre 68. Le film s’ouvre sur un plan des grilles fermées de la salle de Chaillot. Sur un panneau, on peut lire : « Relâche. La date de réouverture sera annoncée par voie de presse. » Et sur l’écran apparaissent ces mots : « Ce film est dédié à la Cinémathèque française d’Henri Langlois. »
Truffaut et Langlois ont donc gagné. Mais pourquoi André Malraux s’était-il mis dans un aussi mauvais pas ? Parce qu’il était en plein délire étatique, parce qu’il avait besoin de contrôler la Cinémathèque pour fournir aux ciné-clubs et à ses chères Maisons de la culture des copies que seul Langlois détenait, parce que l’ORTF réclamait à cor et à cri ces mêmes copies pour les diffuser à l’antenne, parce que le CNC ne pouvait plus supporter l’indépendance de la Cinémathèque et la renommée de Langlois. Ce que n’avait pas prévu Malraux, c’est qu’il allait se heurter à la colère et au front uni d’une corporation ordinairement calme et cristalliser contre lui le mouvement anti-autoritaire qui commençait à être dans l’air. En devenant ministre de De Gaulle, Malraux avait dû
remplacer l’art par la culture. Langlois, lui, était resté sur ses positions : un musée du Cinéma existe pour « faire » des cinéastes, pas pour satisfaire une masse de consommateurs-électeurs. Influencé autant par l’un que par l’autre, Godard parle encore, dans son récent For ever Mozart, de cette différence d’appréciation fondamentale.
Après 68, Truffaut et Langlois s’éloigneront l’un de l’autre. Truffaut supportait mal les manières de plus en plus autocratiques de Langlois, le fait qu’il néglige la programmation et la conservation au profit de son vieux rêve de musée du Cinéma (Truffaut considérait
qu’exposer les robes de Marilyn était grotesque) et sa tendance à passer des films de plus en plus « commerciaux » (dont les siens, il refusera plusieurs fois d’accorder son autorisation) pour doper la fréquentation et ainsi faire entrer de l’argent dans les caisses. Langlois, de son côté, était très peiné par la « trahison » de celui qu’il avait été amené à considérer comme son fils. Mais Truffaut démissionnera de la vice-présidence de la Cinémathèque sans faire de bruit, sans rien dire qui aurait pu gêner celui qui lui avait prêté gratuitement les copies d’Entr’acte et du Chien andalou en novembre 48, quand il n’était que le tout jeune « directeur artistique » du Cercle Cinémane, un minuscule et éphémère ciné-club du Quartier latin. Les deux hommes finiront quand même par se parler à nouveau un soir de l’été 76, quelques mois avant la mort de Langlois, le 13 janvier 77.
Le 22 juillet 97, les trombes d’eau déversées par les pompiers pour éteindre un incendie qui s’est déclaré sur le toit du palais de Chaillot inondent le musée du Cinéma Henri-Langlois et la salle de projection de la Cinémathèque française. Tous les objets du musée et les quelques films présents sont sauvés à temps. Mais depuis ce sinistre, la Cinémathèque est cantonnée dans une unique petite salle des Grands Boulevards qui ne correspond ni à son rang ni à sa mission. Le projet du palais de Tokyo est abandonné et le musée est toujours dans des caisses. Au moment où on commémore 68 à tour de bras, il serait bon que « l’affaire Langlois » ne soit pas l’objet d’un mauvais remake. En 68, l’Etat s’intéressait d’un peu trop près à la Cinémathèque ; trente ans après, il devrait s’en soucier davantage.
Les archives personnelles de François Truffaut concernant « l’affaire Langlois » ont été données en 97 à la Cinémathèque française par madame Madeleine Morgenstern, épouse de François Truffaut. Ces archives étaient soigneusement conservées dans les bureaux des Films du Carrosse.
Autres sources : Henri Langlois, premier citoyen du cinéma, par Georges Patrick Langlois et Glenn Myrent (Denoël), 1986 ; Henri Langlois, par Richard Roud, préface de François Truffaut (Belfond), 1985 ; François Truffaut, par Antoine de Baecque et Serge Toubiana (Gallimard), 1996.
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