Ludivine Sagnier, actrice de l’année. En prélude à la saison à venir des palmarès, c’est d’ores et déjà notre choix. La raison en est simple, et triple. Elle peuplait de ses mines de petite souris, où l’espièglerie se nuance de plus en plus d’inquiétude, deux films qu’on adore : Les Chansons d’amour de Christophe Honoré […]
Ludivine Sagnier, actrice de l’année. En prélude à la saison à venir des palmarès, c’est d’ores et déjà notre choix. La raison en est simple, et triple. Elle peuplait de ses mines de petite souris, où l’espièglerie se nuance de plus en plus d’inquiétude, deux films qu’on adore : Les Chansons d’amour de Christophe Honoré et La Fille coupée en deux de Claude Chabrol. Mais aussi un troisième, que pourtant on n’aime pas : Un secret de Claude Miller. Elle réussit dans celui-ci une scène terrassante en Médée déportée, rongée par la jalousie et l’autodépréciation, réitérant un geste façon Choix de Sophie, mais opposant au pathos tout en larmes et tremblements de menton de la grande Meryl une froideur déterminée d’automate. Cette année, Ludivine Sagnier nous a donc beaucoup émus. Mais aussi laissés songeur sur la façon dont la carrière des acteurs détermine une météorologie d’époque dont les fronts dépressifs et les anticyclones migrent à travers les films et rendent leurs frontières poreuses. Par deux fois, Ludivine Sagnier a donc été la première femme, celle qui meurt au milieu, et la première histoire, celle qu’on remplace. Dans Les Chansons d’amour, un arrêt cardiaque la cloue au sol. C’est un accident, mais le soupçon qu’elle meure de ne pas avoir été assez aimée plane sur le petit monde des survivants. Dans Un secret, elle se dénonce à la milice, s’effaçant pour que son mari (Patrick Bruel) suive la pente du désir qui le conduit dans les bras de sa belle-sœur (Cécile de France). Qu’a-t-elle fait pour qu’avec autant d’acharnement les hommes lui pulvérisent le cœur, et que les films, sans sommation, la débarquent ? Quelque chose en elle manque. De la jeune fille pétulante et un peu chipie apparue il y a quelques années chez Ozon il ne reste qu’une écorce. L’allure est celle d’une jeune première, plus ou moins ingénue (Miller, Honoré), vaguement vamp (Chabrol), mais l’intérieur semble déjà rongé par un cancer de doute, une perplexité soudaine quant à la place à occuper parmi les autres. Le lien qui la rattache à la vie, à la fiction, au reste des personnages, se défait jusqu’à subitement se rompre.
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C’est Claude Chabrol qui cette année a donné le plus de relief à ce léger défaut de matière, ce creux intérieur, et dialectisé l’écart entre un destin tragique et un corps qui ne l’appelle en rien. Elle y apparaît devant l’écran vert du bulletin météo qu’elle présente pour la télévision et disparaît devant un autre écran où s’incrustent d’étranges images de feu d’artifice, qui l’isolent et la retirent du monde. Chez Honoré et Miller, sa disparition coupe les films en deux. Chez Chabrol, c’est le film qui, à la faveur d’un numéro de magie rendant littéral le rituel de sacrifice qu’opéraient méthodiquement jusque-là toutes les forces du récit, la coupe en deux. Un corps tronçonné, apte à son tour à tronçonner les films, c’est le geste de cinéma de Ludivine Sagnier, un des plus énigmatiques et puissants de l’année.
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