La Ville de l’Egyptien Nasrallah brave les interdits et brasse les genres. Un film sensuel dans les quartiers populaires du Caire et de Paris. Coécrit avec Claire Denis, La Ville fut la seule standing ovation du dernier Festival de Locarno et sort sur les écrans après son passage sur Arte l’automne dernier. Reconnaissance méritée tellement […]
La Ville de l’Egyptien Nasrallah brave les interdits et brasse les genres. Un film sensuel dans les quartiers populaires du Caire et de Paris.
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Coécrit avec Claire Denis, La Ville fut la seule standing ovation du dernier Festival de Locarno et sort sur les écrans après son passage sur Arte l’automne dernier. Reconnaissance méritée tellement ce film est une leçon de sensualité. Les idiots vous diront que ce n’est pas un film puisqu’il est tourné en vidéo digitale. Ils ont raison : ce n’est pas un film, mais une multitude de films. Qui tient à la fois de l’album de famille et du torchon qui brûle, du conte des mille et une nuits et de la comédie musicale, du pamphlet politique et du chant pédé. Ça fait beaucoup pour l’équilibre d’un seul opus. Mais qu’importe : Nasrallah ne cherche pas l’équilibre, il recherche l’envie, le vertige qui l’emportera. Il flirte avec les limites et renoue avec le seul cinéma de banlieue que nous connaissons : celui, pasolinien, qui s’abrite dans les régions exclues de l’esthétique, longe les ruelles sombres et brave les interdits. Celui qui refuse le centre mou pour ne retenir du dialogue consensuel que la dernière partie du terme. Celui qui donc se nourrit de désir. Et ce désir, Nasrallah le cherchera partout, du Caire à Paris. Qu’il filme le vieux marché cairote de Rod el Farag en démolition ou les chambres clandestines de Ménilmontant abritant des sans-papiers trimbalés de galère en manif, de combat truqué en combine, il est en quête encore et toujours d’une seule chose, celle-là même qui dirigeait l’entreprise de ses deux précédents films (Mercedes et A propos des garçons, des filles et du voile) : installer des distances d’une sensualité provocante, bander pour son acteur (Bassem Samra).
On a rarement vu une caméra caresser l’œil des êtres dont les rapprochements risquent perpétuellement de se muer en étreintes. Regardé ainsi, effleuré de la sorte, le corps est immédiatement élevé au rang de mythe, se transforme narcissiquement en corps d’acteur. Or, Nasrallah ne dit rien d’autre : on est tous acteurs de nos vies, imposteurs, voleurs de rôles. Toutes les scènes se ressemblent, Paris, Le Caire, notre rapport au monde est flou, peut-être même amnésique, brouillé. Notre espace n’est que mental. Il ne tient qu’à nous d’en réchapper. Son credo est trouble, mais en adéquation avec son esthétique libre : ce que l’on désire, on doit le voler. Belle morale de petite frappe, belle morale de cinéaste à qui, dès lors, s’offrent toutes les libertés. Rêverie élevée au kif, La Ville pourrait se résumer à ce seul dialogue entre le père et le fils : « Paris te sauvera ? Non, mais j’y serai vraiment seul. » Une belle leçon d’absence.
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