Le comédien le plus puissant de France nous fait l’aumône d’une vibrante apologie du dénuement, de l’état de nature, des sourires dans le métro et de la bossa-nova. Et puis quoi encore ?
Au fil de son auguste carrière, l’empereur du box-office français a endossé un certain nombre de costumes variés lui allant relativement bien, gentil facteur évidemment (Bienvenue chez les Ch’tis), mais aussi flic tâtillon (RAID Dingue, Rien à déclarer) ou hypocondriaque angoissé (SuperCondriaque, 8 rue de l’humanité). Celui de La vie pour de vrai est pour lui une première : une créature entre le baba cool et l’enfant attardé, joueur de bossa ingénu qui “n’a jamais porté de chaussures fermées”, ayant vécu toute sa vie non pas dans une communauté hippie, mais dans un Club Med yucatèque. Il ne lui a laissé pour toute expérience que 56 ans de vacances perpétuelles, et quelques traumas d’enfance – au premier desquels les adieux hebdomadaires à des amis toujours éphémères, et en particulier à une Violette dont il n’a jamais cessé d’être amoureux.
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All inclusive
Tridan (son nom, en référence au logo du club) quitte un beau jour son éden de loisirs pour tenter de la retrouver à Paris, où il va découvrir tout ce qui va mal dans l’humanité : les gens sont froids, malhonnêtes, acrimonieux, impolis, et c’est au candide d’égayer toute cette vilaine négativité en lui répondant à sa façon, simple et solaire. Tridan ne connaît ni la rancœur, ni la morosité, ni même l’idée de transaction (tout a toujours été gratuit dans sa bulle all inclusive) : d’humeur toujours égale avec, tout de même, une pointe d’angoisse (constitutive de Dany Boon dont elle a toujours été la part la plus intéressante, mais qu’il gâche en la surjouant avec une espèce de distanciation regrettable), il sourit à la vie et la vie ne le lui rend certes pas tout de suite (il passe son temps à se faire entuber), mais tout de même peu à peu.
Il est évidemment proprement insupportable de voir un homme aussi puissant que Dany Boon s’adonner à un tel numéro, manifestement convaincu de la stature de pur personnage philosophique voltairien de cette espèce de Mr Deeds en tongs dont il a probablement eu l’idée en trouvant un serveur un peu discourtois à l’Eurostar Lounge de la gare du Nord. Hélas, si l’ingénuité de Tridan révèle quoi que ce soit de l’état des rapports humains dans la société moderne, ce ne sont que des platitudes abyssales (exemple : emmerder les usager·ères du métro pour leur demander de sourire et lever les yeux de leur portable, métro dans lequel Boon n’a probablement pas mis un pied depuis dix ans autrement que dans une reconstitution de cinéma), voire des problèmes de CSP+ : ses Richelieu lui font mal au pied, le faux taxi de Roissy lui a fait payer trop cher…
Fantasme narcissique
À cela s’ajoute l’embarras d’un personnage qui porte assez mal son syndrome de Peter Pan, se voudrait doux rêveur mais tient limite du prédateur glauque : un quinquagénaire de neuf ans et demi qui court après des femmes d’âge mûr pour se rappeler à leur mémoire défaillante en dégainant un gribouillage d’enfant et une invitation au resto, sérieusement ? Charlotte Gainsbourg, fausse Violette présentée à l’intrus à l’usage d’une machination absurde (passons le détail) visant à le renvoyer au plus vite dans son bungalow mexicain, fond évidemment pour son charme de détraqué par l’artifice bien commode d’un scénario qui pousse le bouchon jusqu’à en faire une érotomane. Pour un film qui a l’outrecuidance de prétendre nous enseigner la vie (pour de vrai), c’est peut-être le fantasme narcissique de trop.
La Vie pour de vrai de Dany Boon avec Dan Boon, Kad Merad, Charlotte Gainsbourg – en salle le 19 avril
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