Troisième volet de la série consacrée à l’agent amnésique Jason Bourne… Inattedu et roublard, le meilleur de la trilogie.
Ce qui est beau avec les séries, télévisuelles ou cinématographiques, c’est de voir ce qu’elles traversent au fil du temps. Chacune, ainsi, a sa façon particulière de modifier son projet initial en fonction de l’évolution du contexte, qu’il soit social ou esthétique. Quand Doug Liman, jusqu’alors réalisateur de comédies auteuristes (Swingers, Go), adapte, en 2002, le premier volet de la trilogie Bourne, écrite par Robert Ludlum durant les années 80, sans doute n’avait-il pas beaucoup plus en tête que la volonté de renouveler le genre du cinéma d’espionnage. Il est vrai que la saga des James Bond atteignait alors des sommets de vacuité amidonnée.
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De son illustre prédécesseur, Jason Bourne ne devait, du coup, garder à l’écran que les initiales. Pour le reste, cet ex-agent de la CIA, frappé d’amnésie, repartait, bel et bien, de zéro. La plus grande inspiration de ce premier épisode tint, d’ailleurs, à son choix de casting. En choisissant le très intello Matt Damon pour incarner un héros de film d’action, les producteurs plaçaient, de fait, leur acteur principal dans la même position que son personnage : en quête d’une mémoire manquante. En termes de mise en scène, cependant, La Mémoire dans la peau ne faisait alors que prolonger, après d’autres, l’importation du savoir-faire asiatique. Malgré quelques séquences de combat particulièrement brillantes, la série cherchait encore sa valeur ajoutée.
Elle devait la trouver, deux ans plus tard, quand le réalisateur anglais Paul Greengrass prit les commandes du second opus, La Mort dans la peau. A rebours de toute virtuosité chorégraphique, Greengrass amena, en effet, avec lui une dimension plus âpre et documentaire en écho avec la tendance « back to basics » qui triomphait, au même moment, dans les productions hongkongaises. On a pu apprécier la réussite de la formule, l’année suivante, quand sortit le nouveau James Bond, Casino Royale : de toute évidence, l’élève JB2 avait dépassé le maître JB1 au point de lui dicter sa conduite.
C’est sur la base de ce succès que La vengeance dans la peau, troisième volet de la série, arrive aujourd’hui dans les salles. Non seulement le talent visuel de Greengrass pour les scènes d’action y demeure impressionnant, mais il se double ici d’une conceptualisation à la fois plus forte et plus subtile. Dans les grands moments de course-poursuite du film, le réalisateur, substitue ainsi à l’habituel duo « chasseur-chassé » un trio où le poursuivant est lui-même poursuivi à son insu. Cette triangulation aère, assez génialement, la mise en scène, en insérant un peu de vide et d’espace dans un réalisme, par ailleurs, étouffant. Chacune de ses séquences est, en outre, pensée comme une étape précise dans un retour progressif vers un idéal old school, comme si la trilogie finissante résumait en un film son propre parcours : du plus technologique (modèle Ennemi d’Etat) au plus basique (modèle : Bullit).
Mais c’est surtout politiquement que la série gagne en profondeur au cours de cet ultime épisode. Héros littéraire de la fin de la Guerre Froide, Bourne y devient clairement l’agent des années Bush. Et la question qui hantait sa démarche identitaire depuis le début de ses aventures (« comment suis-je devenu une machine à tuer ? »), trouve ici une résolution des plus actuelles et des plus inconfortables. Dans une scène évoquant directement la prison d’Abu Ghraib, le gentil héros découvre ainsi qu’il a basculé dans l’illégalité non par quelque lavage chimique de cerveau mais du simple fait de sa volonté et poussé par un patriotisme aveugle. Si l’amnésie de Jason Bourne ne servait, il y a cinq ans, qu’à oublier James Bond, sa guérison permet donc, aujourd’hui, de rappeler quelques principes de droit international. Comme reconversion inattendue, difficile de faire mieux.
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