Un charmant film d’animation teenage, frais et riche.
Makoto, lycéenne un brin maladroite et garçon manqué, découvre qu’elle a le pouvoir de remonter le temps. Comme il se doit, elle va en profiter pour améliorer ses notes, faire du karaoké jusqu’à plus soif, manger toujours et encore ses plats préférés, jouer à Cupidon, refaire et défaire ses choix les plus anodins. A la croisée de Retour vers le futur (pour le décorum teenage) et d’Un jour sans fin (il faut rejouer la même scène ad nauseam pour avoir la bonne prise), ce charmant film d’animation a un frais parfum oulipien (genre Contes à votre façon de Queneau) : celui d’une fiction ludique, sous forme de microrécits gigognes, où la temporalité s’envisage non pas comme le fleuve de l’imagerie populaire, mais comme une arborescence de vies potentielles, une carte constamment redessinée de ses trajectoires fugaces. C’est ici l’image limpide du panneau d’embranchement devant lequel se retrouve notre héroïne à vélo. C’est que La Traversée du temps est tiré d’un petit classique de la littérature enfantine nippone de l’Italo Calvino japonais, féru de Godard, Lyotard et des Marx Brothers, Yasutaka Tsutsui – à qui l’on doit aussi le très postmoderne Paprika, adapté par Satoshi Kon (lire page 55). Voici donc une histoire vraiment populaire et potentielle, à voir le nombre d’adaptations à la télévision et au cinéma japonais depuis les années 70. Moins tordue que le livre (où l’héroïne vivait son déjà-vu comme une psychose), cette relecture en conserve l’essentiel : un récit d’initiation, économe dans la forme, riche dans le fond. Graphiquement, le trait est vif, les effets peu voyants, entre “sauts” dans le temps et retours dans le quotidien. Tout cela est au service d’une science-fiction lo-fi, soucieuse de ses personnages et de sensibilité. Un net progrès pour son réalisateur, Mamoru Hosada, qui n’avait commis qu’un peu recommandable Digimon : le film (un sous-Pokémon), et avait failli réaliser Le Château ambulant avant que Miyazaki sorte de sa retraite. Plus mélancolique que métaphysique, le propos est délicat comme un dernier jour d’été. Le film est sur le fil du mièvre (des marivaudages adolescents) sans jamais y céder. Makoto apprendra à grandir (un peu), à mesurer l’effet papillon de ses actes, à se laisser porter, à ne pas choisir. Dernière surprise de cette double friandise de film : comme son héroïne, La Traversée du temps bifurque brièvement à un moment donné vers une tout autre intrigue, l’histoire d’un jeune homme marqué par une image, qu’il n’a pas encore vue. On n’est alors pas très loin d’un autre poème temporel, où deux amants sont séparés par l’éternité comme ici : La Jetée de Chris Marker. C’est toute la grâce modeste de ce film que d’avancer masqué, de dire presque en douce que “le temps n’attend personne” (et ce n’est pas qu’une chanson des Stones).
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