Un fils traverse l’océan pour chercher son père qu’il n’a jamais connu. Histoire éternelle, antique fiction. A partir de ce postulat, romanesque en diable, La Traversée trouve d’abord sa singularité par une succession de mouvements de refus. Refus de l’enquête sur le père évanoui dans la nature, le film optant pour des chemins de traverse […]
Un fils traverse l’océan pour chercher son père qu’il n’a jamais connu. Histoire éternelle, antique fiction. A partir de ce postulat, romanesque en diable, La Traversée trouve d’abord sa singularité par une succession de mouvements de refus. Refus de l’enquête sur le père évanoui dans la nature, le film optant pour des chemins de traverse et des fausses pistes (serait-il mort au Vietnam ?) plutôt que d’exhiber les pièces du dossier et les progrès des recherches. De la même façon qu’il repousse une enquête qui n’a rien d’inexorable, qui serait plutôt d’une déconcertante facilité tant ce père ne se cache pas d’un fils dont il ignore jusqu’à l’existence, le film ne magnifie pas le nouveau territoire que constitue l’espace américain. Lifshitz n’est pas Wenders, il se moque du western, et ne triche ni sur son regard de touriste, incapable de dépasser l’apparence des choses, ni sur la consternante banalité de cette Amérique terne et uniforme. L’essentiel est donc à chercher ailleurs. Dans la relation amicale et professionnelle qu’entretiennent Bouquet et Lifshitz, le premier étant le scénariste attitré du second, Bouquet apportant la vulnérabilité peu séduisante de son corps d’acteur et son matériau intime. Plutôt beau gosse, touchant dans sa répugnance à se faire plus sympathique ou moins fermé sur lui-même qu’il ne l’est vraiment, Bouquet amène au film son incertaine présence d’homme sans qualités, peu sentimental, cédant parfois à des fantasmes vaguement crapuleux, son incapacité à se métamorphoser en héros. Plutôt que de traiter cette histoire sur le versant trop fréquenté du roman familial, le film en fait une suite d’hésitations, un ressassement sur le mode du « Comment vais-je réagir si je le trouve ? Qu’est-ce que ça va changer ? ». C’est une attente inquiète qui remplace le suspense attendu. Si la rencontre est presque certaine, le film ne cesse d’anticiper son déroulement : Bouquet imagine le pire mais il ne sait rien du meilleur. Et la grandeur de ce beau petit film vient justement de son choix de ne pas chercher à éviter l’aspect étriqué de cette minuscule odyssée vitale. C’est quand Lifshitz cherche à animer artificiellement le peu, quand il fait moins confiance aux ruminations de son personnage et ajoute de la musique ou des brassées de feuilles mortes, ornements inutiles, que le film perd un peu de sa grâce. Comme si La Traversée ne pouvait se remplir qu’en se dévidant. En revanche, le film contourne remarquablement l’écueil de sa fabrication, le culte du « pris sur le vif » propre au reportage étant contrarié par des séquences qu’on devine écrites. Et le film de se construire entre fabrication (les scènes traitées au banc-titre sont particulièrement réussies, c’est donc bien un roman-photo trivial, autant qu’un voyage poétique) et saisie lointaine de la cérémonie des adieux. Le charme entêtant de La Traversée réside dans ce grand écart qui mêle exhibition et pudeur, documentaire et fiction, malaise et apaisement.
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