Un mélo tout en retenue, qui doit beaucoup à sa mise en scène élégante et au charme de son héroïne.
Première de la classe en économie, la Chine n’est pas qu’une nation d’avides boutiquiers. En matière de cinéma aussi, elle montre une constance rare.
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Depuis vingt ans au moins, la majorité de ses films mêlent avec un pragmatisme rafraîchissant les registres social et dramatique. Comme dans La Tisseuse, qui n’est pas le sommet de l’avant-garde (tel qu’on le trouve dans Oxhide de Liu Jia Yin), mais reste subtil et déjoue les lieux communs du mélo avec une formidable élégance.
Il s’agit bien d’un drame social, mais presque en creux, sans une once de pathos. C’est mis en scène et joué avec une telle pudeur que tout le désespoir que l’histoire recèle ne saute pas immédiatement aux yeux.
Lily, une belle ouvrière d’une trentaine d’années employée dans une filature, s’insurge d’abord contre la dureté de son métier. Par ailleurs, elle est mal mariée à un homme qu’elle n’aime pas spécialement ; et son jeune fils est plus attaché à son père qu’à elle.
Là-dessus, elle apprend qu’elle est atteinte d’un cancer incurable. Toutes ces données ne sont pas assenées. Elles sont distillées dans la trame du réel où le film est plongé.
Ce malheur n’est pas vécu ici comme un cataclysme, mais plutôt comme une rupture salvatrice, une délivrance. C’est paradoxalement lorsqu’elle se sait condamnée que Lily commence à vivre (elle va aux dancings pour se faire de l’argent et part à Pékin où elle retrouve un homme qu’elle a aimé).
Métamorphose parfaitement exprimée par la séquence burlesque où elle court joyeusement sur des rails de chemin de fer pour échapper à un garde-chiourme qui la poursuit.
Ce désespoir presque gai, presque serein, n’est pas le seul atout du film. On pourrait parler de son réalisme, mais c’est le minimum syndical pour un film chinois.
Le plus beau ici, c’est l’alliance parfaite entre la durée et le mouvement, résultant d’une utilisation magique du steadicam (synthèse idéale de la caméra à l’épaule et du travelling), qui permet des plans-séquences fluides et enveloppants.
Exemple de virtuosité : la longue scène où la caméra louvoie gracieusement en suivant Lily qui retourne à son poste dans le dédale de l’immense filature… Ce n’est pas de la virtuosité gratuite. Elle est aussi génératrice d’émotion.
Voir le trouble de la séquence où Lily va chercher son ancien amant dans une autre usine : la caméra prend son temps pour nous dévoiler cet homme, masqué par un interminable flux de tissu qui se dévide de sa machine.
Lily est passée à côté de sa vie, elle va mourir, mais elle vit des instants de bonheur suspendu, de nostalgie résignée. Tout cela participe de la mélancolie qui nimbe ce film aussi simple que délicat.
Une œuvre juste et poignante mais sans débordement lacrymal. L’équilibre parfait en somme.
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