Projeté en ouverture du Festival de Cannes, un « film social » qui peine à atteindre la capacité d’incarnation de ses modèles Pialat, Dardenne ou Kechiche.
La Tête haute emboîte le parcours chaotique de Malony, enfant difficile, de 6 à 18 ans. Père envolé, mère-ado plus ou moins irresponsable, Malony est ballotté de pensionnats en centres d’accueil, sous la coupe d’une juge pour enfants et d’un éducateur. Entre L’Enfance nue de Pialat et Le Gamin au vélo des frères Dardenne, La Tête haute dresse l’éternelle chronique des enfants en manque de parents, de repères et d’amour.
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Le film ne manque pas de talent et de savoir-faire et vaut mieux que certaines ouvertures cannoises calamiteuses de récente mémoire (Grace, Fanfan la Tulipe, voire Gatsby…). Emmanuelle Bercot sait tenir l’intensité d’une scène et elle est bien servie par des acteurs irréprochables, à commencer par Rod Paradot, véritable bombe d’énergie et de violence au regard de fauve. Il est bien entouré par une Catherine Deneuve toujours aussi naturellement impériale, un Benoît Magimel élégamment abîmé, et une quasi-découverte, Diane Rouxel, sa presque jumelle au physique androgyne (Sara Forestier en revanche, dans un numéro de cagole à moitié cuite, en fait trop, comme si son personnage de L’Esquive avait vieilli en une redite histrionique).
Pour autant, c’est en voyant un tel film qu’on comprend pourquoi Pialat, Kechiche ou les Dardenne sont immenses, et ce qui les distingue de leurs suiveurs. Il y a peu de mystère, d’incertitude ou de suspense dans La Tête haute, tout y semble (sur)écrit d’avance. Malony est une tête brûlée ingérable et le restera presque tout le film, jusqu’à une évolution subite et tardive dont les raisons sont assez téléphonées. Si Malony et sa famille sont limite irrécupérables, les représentants des institutions sont tous admirables, patients, compréhensifs (sauf quand Magimel, énervé, secoue physiquement Malony). On trouvera ici le même manichéisme entre les figures d’autorité impeccables et les mauvaises herbes que dans Polisse de Maïwenn, que Bercot avait coécrit.
Le film fonce tout droit, avant virage artificiel en fin de parcours
La réalisatrice semble avoir retenu seulement la part la plus évidente et superficielle des cinéastes dont elle s’inspire : les conflits hystérisés. Mais chez Pialat, la violence est parfois administrée glacialement, et n’en prend que plus de relief (comme dans la grande scène du retour du père à la table familiale dans A nos amours). Chez les Dardenne, le milieu social des personnages est toujours élevé au niveau de la grande tragédie et de ses dilemmes moraux difficiles à trancher (on pourrait citer tous leurs films). Et chez Kechiche, les scènes de conflits sont poussées à un tel état d’intensité, d’abandon et d’épuisement qu’elles dépassent la simple performance pour entrer dans une dimension unique et propre à Kechiche. Bercot en reste au niveau piéton de son constat et sur les rails de son scénar, malgré ses tentatives d’élévation avec la musique de Bach (contraste entre violence sociale et art noble emprunté ce coup-là à Kubrick). Elle a beau montrer ses muscles de cinéaste, certes parfois impressionnants, elle parvient rarement à dépasser le bougisme, l’effort “à la manière de”.
Ajoutons que, sur le fond, le film est pour le moins discutable, jouant la paternité à 18 ans et sans emploi plutôt que l’avortement, c’est-à-dire le risque de reproduction problématique contre une avancée médicale, sociale et féministe. Comme si un enfant était la solution miracle aux problèmes des jeunes adultes. Là encore, il faudrait revoir les films des Dardenne pour mesurer la complexe maïeutique scénaristique et filmique qui conduit à faire entrevoir un rai de lumière au bout d’un tunnel. Les films des Dardenne cheminent par mille détours et balancements dialectiques imprévisibles jusqu’à une issue ouverte qui est la résultante du trajet tortueux du film, alors que le film de Bercot fonce en ligne droite, sans surprise, avant virage artificiel en fin de parcours. Ainsi, malgré l’excellence de son casting et quelques scènes saisissantes, La Tête haute laisse un sentiment dominant de Pialat lyophilisé, de diet Kechiche, de Dardenne de contrefaçon.
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